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🌊 moon dragon


un lac ; une montagne ; la lune.

calme et sérénité.


descends pour lire l'histoire... 








🌊 moon dragon

avec la participation de Loïc Jegou (co-écriture, relecture et conseils technique sur l'escalade)


Il y a sept jours, j’ai rencontré un dragon.

Aujourd’hui, c’est vendredi. Mes chaussures sont mouillées par la pluie. J’espérais un peu de soleil pour notre première journée. Avec Max, un.e ami.e, on va grimper le mont Mizu demain. On se prépare depuis plusieurs années pour cette ascension, que personne n’a encore osé tenter. 

J’attends devant la porte de Max, sous la pluie. Max, encore en retard, qui ne veut pas que j’entre me mettre au chaud parce qu’iel vient de faire le ménage, et que, de toute façon, on va marcher des heures sous la pluie alors ce n’est pas cinq minutes de plus qui vont changer quelque chose…

La porte s’ouvre. “C’est bon, pardon… Bon, je crois que j’ai rien oublié…” 

On se met en route. Les jours d’approche sont silencieux, on se prépare à l’ampleur de la tâche qui nous attend. 

J’ai toujours aimé grimper. Quand j’étais enfant, je m’enfuyais de chez mes parents pour aller m’entraîner dans la forêt. Il y avait des gros rochers, imprégnés de l’énergie d’autres esprits libres qui, comme moi, répétaient inlassablement les mêmes gestes pour sculpter leurs corps. Iels connaissaient par cœur chaque mouvement, chaque prise, chaque placement. 

J’aimerais, un jour, avoir communié avec chaque rocher de ma forêt. Lors d’une de mes escapades, j’avais découvert un nouveau rocher, lisse et presque recouvert de mousse. J’avais beau tenter toutes les prises possibles, je n’arrivais pas encore à déceler toutes ses aspérités. 

Un jour, alors que je m’entraînais, une douce voix avait surgi de nulle part pour me guider. “Tu pourrais essayer de déplacer ton pied droit… Oui, juste là…” En suivant ses conseils, j’avais enfin réussi à atteindre le sommet. 

Mon guide était une femme, aux longs cheveux roux. Elle avait une fleur, une edelweiss, dans les cheveux, qui se tenait là, comme par magie, insensible aux rafales de vent. Elle s’appelait Flora.

Flora m’a appris à grimper, elle est devenue mon mentor. Quand j’ai su grimper sur les rochers de la forêt sans difficulté, elle a décidé de m’emmener à la rencontre de la Montagne qui entourait notre village. Les voies des parois les plus faciles n’avaient plus de secret pour moi. 

Surplombant tous les autres sommets, le mont Mizu. Quand on partait grimper pendant plusieurs jours, Flora me racontait des histoires avant de m’endormir. Les vieilles légendes du village.

Il y avait la légende du Dragon Bleu, qui habitait en haut du mont Mizu. Je n’aurais jamais pensé le rencontrer, un jour. Je ne croyais même pas aux dragons. 

“Hé, Max… Tu as déjà entendu l’histoire du Dragon Bleu ?”

Iel rigole. “C’est des histoires pour les enfants, ça. Tu t’attends à ce qu’on voit un dragon quand on arrivera en haut ?”

“J’y pense beaucoup en ce moment. Ça fait bientôt cinq ans que Flora a disparu, et elle me racontait souvent cette histoire.”

“C’est pour elle, que tu le fais, le Mizu ?”

“Je crois. Et aussi parce que j’ai envie de grimper là où personne ne s’est jamais aventuré. Je veux connaître tous les rochers de nos montagnes.”

La semaine dernière, je m’entraînais une dernière fois avant notre grande ascension. J’avais grimpé notre voie préférée, à Flora et moi. J’avais attendu que la nuit tombe avant de redescendre, pour pouvoir observer le ciel. On adorait regarder les étoiles ensemble. Elle m'avait appris chaque constellation.

J’ai cligné des yeux, et le ciel s’est couvert. Une grande ombre est passée devant la lune, l’espace de quelques instants. Des reflets bleus. Le bruit de ses ailes. Et puis plus rien.

Au fond de moi, je sais que c’était le Dragon Bleu. Flora m’avait raconté qu’il y a très longtemps, une cascade tombait du sommet du Mont Mizu. Une âme en quête d’aventure avait décidé d'escalader la falaise, malgré les trombes d’eau meurtrières qui menaçaient de la renverser à tout moment. Arrivée en haut, cette âme se serait transformée en dragon.

Max et moi arrivons enfin au pied de la voie. On révise le plan avant d'entamer notre ascension. 

Il faut d’abord s’engouffrer dans 35 mètres de fissure, pour atteindre une vire à peine visible depuis le bas. Ensuite, une longue dalle nous attend. D’ici, le mur semble parfaitement lisse, sans aucune aspérité pour m’aider. 

A la fin du mur, un surplomb de deux mètres, dont j'espère résoudre le mystère une fois en haut. Je n’ai pas peur, parce que je sais que Flora m’a enseigné tout ce dont j’avais besoin pour gravir le Mizu. 

Max n’aime pas les fissures, alors je m’engage en tête, le baudrier lesté de quelques friends et coinceurs.​

J'aime ce style d'escalade, quand il ne faut pas se servir des prises de la paroi, mais ne faire qu'un avec elle. Les doigts tendus, ma paume caresse l'intérieur de la fissure. Je trouve un appui, et je ressens la force de la montagne au creux de mes mains. Je ne tomberai pas.

Je me hisse déjà sur la vire. Je n’ai pas vu le temps passer. Je reprends mes esprits, laissant l’énergie de la montagne m’habiter. Je respire profondément cette sensation de liberté enivrante. L’odeur de la roche, encore humide en ce début de matinée, cette légère brise qui caresse mes cheveux…

“Heeeee, t’es toujours là???”

Max. Je l’avais oublié.e. 

Je pose une saillie dans la roche, et me vache dessus. C’est bon, Max, je suis en place.

Max commence à grimper. Rapidement, iel chute. Je sens la corde qui se tend, puis qui se détend. Qui se tend, puis qui se détend.

“J’y arrive pas… Je trouve pas les prises… Je comprends pas comment t’as fait.”

J’essaie de rassurer Max, de l’aider du mieux que je peux. Au bout d’une heure, iel n’a pas bougé d’un pouce. 


"T’inquiètes pas, Max. C’est pas grave. Je peux monter sans toi, je crois."

Je fais descendre Max doucement. Quand iel touche le sol, j’enlève mon assureur et je le laisse sur la vire. Je suis complètement libre. Chaque erreur peut être fatale.

J’entends la voix de Max, qui me demande de redescendre, moi aussi. Le vent se lève, et absorbe ses cris.

Je respire, cette vraie liberté. La liberté des oiseaux. Je me concentre sur la montagne, sur cette dalle, immense. J’essaie de ressentir ses vibrations, son histoire. Et je me lance.

Plus rien n’existe autour de moi, rien à part le contact froid de la roche sous mes doigts. J’avance, mesurant chaque mouvement, la respiration calée sur le rythme de la Nature. Je trouve les prises intuitivement.

Le soleil vient de se coucher. A un mètre de moi, au bout du surplomb, la paroi est percée. Je sens, au fond de moi, que c’est le seul moyen d’accèder au sommet. Je rassemble mes forces, pour m’élancer dans un dernier saut. Une dernière chance. Sans savoir avec certitude ce qui m’attend.

Mes mains s’agrippent au rebord du trou, mais je n’ai pas de prise pour mes pieds. Je pends au milieu du vide. Un instant de panique, ma main droite glisse.

Réflexe, je me rattrape de l’autre côté de l’ouverture. Le vent s’est calmé, et il me murmure à l’oreille. Sur ses conseils, j’envoie ma main gauche au-dessus du surplomb. Une prise, simple, comme une échelle naturelle. Ma main droite vient la rejoindre, et je me hisse enfin sur un grand replat.

Le sommet du Mont Mizu. La lune se reflète dans un lac, dont rien ne vient troubler le calme. Une multitude de fleurs blanches, dans un vieil arbre. On dirait des edelweiss.

Un grand coup de vent me tire de ma contemplation, et je le vois se dresser fièrement devant la lune ; le Dragon Bleu. Il se pose au-dessus du lac, et plonge ses yeux dans les miens.

Je n’ai pas peur. Une douce voix résonne dans ma tête. “Ça faisait longtemps… Comment vas-tu?”

Je me revois, enfant. Nos journées à escalader les rochers. Nos  soirées à contempler les étoiles. La douce voix de Flora pour me réchauffer le cœur. 

“Je ne t’ai jamais raconté toute l’histoire, tu sais… Il était une fois, dans un village reculé au milieu des montagnes…”




🌊 moon dragon

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un lac ; une montagne ; la lune.

calme et sérénité.


descends pour lire l'histoire... 







🌊 moon dragon

avec la participation de Loïc Jegou (co-écriture, relecture et conseils technique sur l'escalade)


Il y a sept jours, j’ai rencontré un dragon.

Aujourd’hui, c’est vendredi. Mes chaussures sont mouillées par la pluie. J’espérais un peu de soleil pour notre journée d’approche. Avec Max, un.e ami.e, on va grimper le mont Mizu demain. On se prépare depuis plusieurs années pour cette ascension, que personne n’a encore osé tenter. 

J’attends devant la porte de Max, sous la pluie. Max, encore en retard, qui ne veut pas que j’entre me mettre au chaud parce qu’iel vient de faire le ménage, et que, de toute façon, on va marcher des heures sous la pluie alors ce n’est pas cinq minutes de plus qui vont changer quelque chose…

La porte s’ouvre. “C’est bon, pardon… Bon, je crois que j’ai rien oublié…” 

On se met en route. Les jours d’approche sont silencieux, on se prépare à l’ampleur de la tâche qui nous attend. 

J’ai toujours aimé grimper. Quand j’étais enfant, je m’enfuyais de chez mes parents pour aller m’entraîner dans la forêt. Il y avait des gros rochers, imprégnés de l’énergie d’autres esprits libres qui, comme moi, répétaient inlassablement les mêmes gestes pour sculpter leurs corps. Iels connaissaient par cœur chaque mouvement, chaque prise, chaque placement. 

J’aimerais, un jour, avoir communié avec chaque rocher de ma forêt. Lors d’une de mes escapades, j’avais découvert un nouveau rocher, lisse et presque recouvert de mousse. J’avais beau tenter toutes les prises possibles, je n’arrivais pas encore à déceler toutes ses aspérités. 

Un jour, alors que je m’entraînais, une douce voix avait surgi de nulle part pour me guider. “Tu pourrais essayer de déplacer ton pied droit… Oui, juste là…” En suivant ses conseils, j’avais enfin réussi à atteindre le sommet. 

Mon guide était une femme, aux longs cheveux roux. Elle avait une fleur, une edelweiss, dans les cheveux, qui se tenait là, comme par magie, insensible aux rafales de vent. Elle s’appelait Flora.

Flora m’a appris à grimper, elle est devenue mon mentor. Quand j’ai su grimper sur les rochers de la forêt sans difficulté, elle a décidé de m’emmener à la rencontre de la Montagne qui entourait notre village. Les voies des parois les plus faciles n’avaient plus de secret pour moi. 

Surplombant tous les autres sommets, le mont Mizu. Quand on partait grimper pendant plusieurs jours, Flora me racontait des histoires avant de m’endormir. Les vieilles légendes du village.

Il y avait la légende du Dragon Bleu, qui habitait en haut du mont Mizu. Je n’aurais jamais pensé le rencontrer, un jour. Je ne croyais même pas aux dragons. 

“Hé, Max… Tu as déjà entendu l’histoire du Dragon Bleu ?”

Iel rigole. “C’est des histoires pour les enfants, ça. Tu t’attends à ce qu’on voit un dragon quand on arrivera en haut ?”

“J’y pense beaucoup en ce moment. Ça fait bientôt cinq ans que Flora a disparu, et elle me racontait souvent cette histoire.”

“C’est pour elle, que tu le fais, le Mizu ?”

“Je crois. Et aussi parce que j’ai envie de grimper là où personne ne s’est jamais aventuré. Je veux connaître tous les rochers de nos montagnes.”

La semaine dernière, je m’entraînais une dernière fois avant notre grande ascension. J’avais grimpé notre voie préférée, à Flora et moi. J’avais attendu que la nuit tombe avant de redescendre, pour pouvoir observer le ciel. On adorait regarder les étoiles ensemble. Elle m'avait appris chaque constellation.

J’ai cligné des yeux, et le ciel s’est couvert. Une grande ombre est passée devant la lune, l’espace de quelques instants. Des reflets bleus. Le bruit de ses ailes. Et puis plus rien.

Au fond de moi, je sais que c’était le Dragon Bleu. Flora m’avait raconté qu’il y a très longtemps, une cascade tombait du sommet du Mont Mizu. Une âme en quête d’aventure avait décidé d'escalader la falaise, malgré les trombes d’eau meurtrières qui menaçaient de la renverser à tout moment. Arrivée en haut, cette âme se serait transformée en dragon.

Max et moi arrivons enfin au pied de la voie. On révise le plan avant d'entamer notre ascension. 

Il fallait d’abord s’engouffrer dans 35 mètres de fissure, pour atteindre une vire à peine visible depuis le bas. Ensuite, une longue dalle nous attendait. D’ici, le mur semble parfaitement lisse, sans aucune aspérité pour m’aider. 

A la fin du mur, un surplomb de deux mètres dont j'espérais résoudre le mystère une fois en haut. Je n’ai pas peur, parce que je sais que Flora m’a enseigné tout ce dont j’avais besoin pour gravir le Mizu. 

Max n’aime pas les fissures, alors je m’engage en tête, le baudrier lesté de quelques friends et coinceurs.​

J'aime ce style d'escalade, quand il ne faut pas se servir des prises de la paroi, mais ne faire qu'un avec elle. Les doigts tendus, ma paume caresse l'intérieur de la fissure. Je trouve un appui, et je ressens la force de la montagne au creux des mains. Je ne tomberai pas.

Je me hisse déjà sur la vire. Je n’ai pas vu le temps passer. Je reprends mes esprits, laissant l’énergie de la montagne m’habiter. Je respire profondément cette sensation de liberté enivrante. L’odeur de la roche, encore humide en ce début de matinée, cette légère brise qui caresse mes cheveux…

“Heeeee, t’es toujours là???”

Max. Je l’avais oublié.e. 

Je pose une saillie dans la roche, et me vache dessus. C’est bon, Max, je suis en place.

Max commence à grimper. Rapidement, iel chute. Je sens la corde qui se tend, puis qui se détend. Qui se tend, puis qui se détend.

“J’y arrive pas… Je trouve pas les prises… Je comprends pas comment t’as fait.”

J’essaie de rassurer Max, de l’aider du mieux que je peux. Au bout d’une heure, iel n’a pas bougé d’un pouce. 


T’inquiètes pas, Max. C’est pas grave.

Je fais descendre Max doucement. Quand iel touche le sol, j’enlève mon assureur et je le laisse sur la vire. Je suis complètement libre. Chaque erreur peut être fatale.

J’entends la voix de Max, qui me demande de redescendre, moi aussi. Le vent se lève, et absorbe ses cris.

Je respire, cette vraie liberté. La liberté des oiseaux. Je me concentre sur la montagne, sur cette dalle, immense. J’essaie de ressentir ses vibrations, son histoire. Et je me lance.

Plus rien n’existe autour de moi, rien à part le contact froid de la roche sous mes doigts. J’avance, mesurant chaque mouvement, la respiration calée sur le rythme de la Nature. Je trouve les prises intuitivement.

Le soleil vient de se coucher. A un mètre de moi, au bout du surplomb, la paroi est percée. Je sens, au fond de moi, que c’est le seul moyen d’accès au sommet. Je rassemble mes forces, pour m’élancer dans un dernier saut. Une dernière chance. Sans savoir avec certitude ce qui m’attend.

Mes mains s’agrippent rebord du trou, mais je n’ai pas de prise pour mes pieds. Je pends au milieu du vide. Un instant de panique, ma main droite glisse.

Réflexe, je me rattrape de l’autre côté de l’ouverture. Le vent s’est calmé, et il me murmure à l’oreille. Sur ses conseils, j’envoie ma main gauche au-dessus du surplomb. Une prise, simple, comme une échelle naturelle. Ma main droite vient la rejoindre, et je me hisse enfin sur un grand replat.

Le sommet du Mont Mizu. La lune se reflète dans un lac, dont rien ne vient troubler le calme. Une multitude de fleurs blanches, dans un vieil arbre. On dirait des edelweiss.

Un grand coup de vent me tire de ma contemplation, et je le vois se dresser fièrement devant la lune ; le Dragon Bleu. Il se pose au-dessus du lac, et plonge ses yeux dans les miens.

Je n’ai pas peur. Une douce voix résonne dans ma tête. “Ça faisait longtemps… Comment vas-tu?”

Je me revois, enfant. Nos journées à escalader les rochers. Nos  soirées à contempler les étoiles. La douce voix de Flora pour me réchauffer le cœur. 

“Je ne t’ai jamais raconté toute l’histoire, tu sais… Il était une fois, dans un village reculé au milieu des montagnes…”