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Chapitre 7 - Sur la Voie de la Solitude



Les chansons du chapitre:

Je t'aime à la mort - Princesse

L'AMOUR - disiz

Putain d'époque - Lujipeka

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Ce soir, pas de joint. Ça doit faire un mois que je fume tous les jours, et je rentre d’un week-end de festival. Arrêtons la drogue pendant vingt-quatre heures.

Je m’endors difficilement après avec un peu de CBD. Je sombre, doucement, dans les profondeurs.

Juste encore un peu de trauma dans ta petite vie. Tu te réveilles, chez tes grands-parents. Le fauteuil violet et blanc, en rotin, dans le salon. Pourquoi ce fauteuil, en particulier? Je ne sais pas. Papy qui vient te voir, qui te court après. Qui veut te frapper. Tu dois t’enfuir, à tout prix. Il te rattrape. Tu essaies de te battre, mais, comme toujours, tes coups n’ont aucun effet. Il sert tes bras. 

Tu te réveilles, mais tu ne peux plus respirer. Tu as un poids sur la poitrine, un poids si lourd. Tu te concentres, inspiration, expiration. Tu sens un filet d’air entrer dans tes poumons. Mais cette sensation d’écrasement est si forte. Je ne peux plus respirer.

Est-ce que c’est un rêve? Mais si c’était un rêve, je pourrais respirer… non?

Impossible de bouger. De faire le moindre mouvement. Tu suffoques.

Tu es à nouveau dans une autre pièce. Tu sens un tapis sous tes pieds. Un tapis. Tu baisses les yeux. C’est le tapis de tes grands-parents. Sensation de panique, tu veux courir, tu dois t’échapper. Ton grand-père arrive, au loin. Tu dois t’échapper.

Tu te réveilles, mais tu ne peux toujours pas bouger. Peut-être que ton coloc pourrait t’aider. Tu essayes d’appeler son nom, mais aucun son ne sort de ta bouche. Tu arrives enfin à te lever, tu vas prendre une bouteille d’eau sur ton bureau en titubant. Tu te rassoies dans ton lit, tu bois un peu. Mais quand tu tends la main pour reprendre cette bouteille, elle n’est plus là. 

Pourtant tu es sûre. Sûre d’avoir bu de l’eau. Tu sentais l’eau couler dans ta gorge tout à l’heure. Mais la bouteille n’est plus là.

Rêve, réalité, mon corps ne peut plus bouger.

J’attends quelques minutes, immobile, regard dans le vide. J’arrive enfin à réveiller le bout de mon doigt et esquisser un mouvement. Puis mon corps se débloque, petit à petit. Le poids sur ma poitrine s’allège.

Je me lève, et j’essaie d’appeler mon coloc. Aucun son ne sort de ma bouche. Puis, doucement, “Clément…” … “Clément…” … “CLÉMENT…” J’entends du bruit dans sa chambre. La porte s’ouvre, il a les yeux à moitié fermés. “... Oui?” Oh, non, j’ai fait un cauchemar… Je… Désolée…

J’ai toujours cette angoisse, cette angoisse que quelqu’un rentre chez moi, et que je sois impuissante. Toujours ce même cauchemar, ce cauchemar qui me hante, qui revient, et qui ne me laisse pas tranquille.

Le lendemain matin, je suis encore terrifiée. Je ne peux pas me concentrer sur mon travail, ma tête chauffe constamment. Dès que la journée est terminée, je roule un joint.

Et je me sens d’un coup plus légère. J’ai envie de voir le côté positif de la vie. J’ai envie d’être heureuse. La panique disparaît à chaque bouffée de fumée. Je vais voir Clément, pour m’excuser de l’avoir réveillé cette nuit.

“Cette nuit…? Mais je me suis pas levé cette nuit… ?”

C’était juste un rêve, alors? Pourtant, tout avait l’air si réel. En plus, je n’avais même pas fumé de weed. Est-ce que ça sert vraiment à quelque chose, d’essayer de moins fumer? Finalement, c’est dans la beuh que je retrouve la joie. Je retrouve le courage de vivre l’instant présent, le courage de me laisser porter par le vent, le courage d’aller de l’avant. Et du courage, j’en ai besoin, parce que dans deux semaines, je quitte Lyon. Dans deux semaines, je serai seule, dans une nouvelle ville. Seule dans mon combat.

L’occasion rêvée d’arpenter la Voie de la Solitude. Enfin, solitude, pas forcément tant que ça, puisque j’arrive dans ma coloc de 8 personnes. Mais d’un autre côté, je débarque sur la planète Mars sans aucun point d’ancrage.

Nouvelle ville, nouvelle vie, nouveaux amis. En arrivant pour l’état des lieux, je me balade un peu dans le quartier. Je découvre Marseille. Marseille, sale. Marseille, pleine de misère. Des gens assis sur les marches de l’escalier d’un immeuble, pantalon baissé, seringue dans la cuisse. 

J’arrive devant une grande porte taguée, comme toutes les portes de la rue. Une fille attend devant la même porte que moi, on a l’impression d’être là pour la même chose. “Toi aussi tu emménages ici?” On commence à discuter, elle est dans un collectif techno à Marseille. Je lui dis que j’apprends à mixer, elle me dit qu’elle aussi.

Au moins, je n’aurais pas trop de mal à trouver des soirées techno sur Marseille. La propriétaire arrive, et on choisit chacune notre chambre. Sur les 8 colocs d’avant, 7 sont partis en même temps, et toutes les chambres ne sont pas encore occupées.

L’appartement est immense, c’était probablement des anciens bureaux. Dans l’entrée, de quoi mettre au moins quatre vélos. Une petite courette intérieure sombre et terne, un salon avec trois canapés plus grands les uns que les autres et une table basse en palettes.

Une salle de bains, avec trois douches individuelles, un peu comme au camping, et deux toilettes. Encore un couloir, un dédale qui donne enfin sur la cuisine. Je choisis la dernière chambre, tout au fond, un peu à l’écart. A côté de la cuisine, dans laquelle gambadent en toute liberté une petite armée de blattes. “C’est normal, à Marseille, vous aurez ça dans tous les appartements que vous verrez de toute façon.”

Je passe la soirée avec ma nouvelle coloc, Marine, avec qui je m’entends bien. 

Le lendemain matin, on rencontre Oscar, l’unique survivant de la désertion récente. L’appartement a un grand salon, dans lequel on traîne tout le temps. On fume tous, on fume dans l’appart, je commence à fumer dans ma chambre.  Je fume, des clopes, des joints, et je m’engage encore un peu plus dans la Voie de la Solitude.

Avec Aurélien, on se parle de moins en moins. Mon pilier se brise lentement, mes fondations s’ébranlent. Pourtant, je ne suis jamais vraiment seule dans ce grand appartement qui se remplit doucement. Je rencontre tout juste mes nouveaux colocataires, et aucun n’a l’aura d’un nouveau meilleur ami. Je ne suis jamais vraiment seule dans ce grand appartement, pourtant la solitude devient envahissante.

Ce soir, je pars à Lyon pour retrouver Aurélien et Julia et organiser Tarpin de Basses. TdB pour les intimes. Je suis un peu stressée, il se met à pleuvoir, et je n’aime pas conduire de nuit sous la pluie. Il se met à pleuvoir, et le bout de mes chaussettes est humide.

Je lève les yeux. Des gouttes tombent des appliques au plafond. J’ai à peine le temps d’enlever mes affaires fraîchement déballées qu’une douche s’est installée dans ma chambre. J’appelle la propriétaire en panique, l’assurance, mais tout le monde me dit qu’on ne peut rien faire et qu’il faut juste attendre qu’il arrête de pleuvoir. Je quitte donc Marseille, un peu plus tard que prévu, un peu plus stressée que prévu, et je m’engage sur l’autoroute dans la nuit, sous la pluie.

Un bon début de week-end. J’arrive à Lyon, lessivée, dans tous les sens du terme. Je retrouve Aurélien et Julia, comme d’habitude, de mauvaise humeur. 

Dans l’ensemble, notre festival est une grande réussite. Des invités ravis, des invités rôtis. Le format, c’était alcool illimité. Tous mes potes prennent des fraises, mais, étrangement, je passe mon tour. Je me souviens encore de mon anniversaire, je crois, et de cette montée pas si agréable parce que je n’arrivais pas à lâcher prise. Et de cette descente tout droit dans les profondeurs de l’enfer.

Par contre, je fume, je fume des joints, du matin jusqu’au soir, et du soir jusqu’au matin. J’aurais pu penser que ce serait contre-productif, mais ça me permet de rester focalisée sur mes objectifs sans me sentir dépassée.

Quand vient mon tour de mixer, c’est un peu la panique. A part ce date de trois heures avec un DJ et quelques répétitions dans ma chambre, je ne me suis pas vraiment entraînée. Je n’y connais pas grand-chose.

Mais bon, j’ai dit que je le ferai, alors je me lance. Et étonnamment, le public répond très bien. Un ami m’aide pour le beat matching, mais à part ça je me débrouille toute seule. Je ne fais pas de folies, j’essaie de me concentrer sur la base de la base, mais ça fonctionne.

A la fin de mon set, plusieurs personnes viennent me demander si c’est vraiment la première fois que je mixe. Ils sont tous assez impressionnés, me répètent que, “C’était vraiment bien!”

Je sais que j’ai toujours appris vite, mais je me dis que j’ai peut-être trouvé un truc qui me plaît, et où je réussis. Un truc qui me fait un peu vibrer, aussi, de faire danser les gens avec la musique que je passe. 

Souvent, quand je suis vraiment, vraiment défoncée, j’entends des mélodies dans ma tête. Il me faut juste un beat, un bruit de fond, le cliquetis des vieux roulements de mon vélo, le brouhaha de la machine qui nettoie la rue le matin, le bruit d’un moteur au loin. Et d’un coup, des mélodies apparaissent. Je me laisse transporter par ces sons dans mon imagination.

J’aimerais bien apprendre à faire de la musique, vraiment. Toutes ces mélodies, j’aimerais pouvoir un jour les entendre en vrai.

Quand je rentre à Marseille quelques jours plus tard, je suis épuisée. Plus aucune batterie sociale. Mais j’habite dans un appartement de huit personnes, alors c’est difficile d’avoir des moments de calme.

La vie à Marseille, c’est une sorte d’effervescence constante. Je sors beaucoup avec des potes, des gens que je viens de rencontrer, quasiment tous les soirs. On croise des potes, puis leurs potes, puis on sort avec d’autres potes, qui ont d’autres potes…

Et pourtant, même si je ne suis jamais seule, je me sens plus que jamais happée par la Voie de la Solitude. Depuis TpB, je n’ai pas vraiment eu de nouvelles d’Aurélien. Ni de Julia, d’ailleurs, mais ça fait des mois qu’on ne se parle plus trop.

Dans cette vie marseillaise un peu superficielle, j’ai besoin de profondeur. La profondeur que m’apportaient mes relations avec mes meilleurs amis. Mais je patauge à la surface.

Quand je rentre ce soir, je vais me poser dans le salon pour fumer une clope. J’avais laissé traîner mon plateau à rouler sur la table, avec le briquet d’Ally dedans.

Le briquet d’Ally, qui me serait bien utile pour allumer cette clope. Le briquet d’Ally, qui s’est évaporé de mon plateau. Je le cherche partout. Je demande à Oscar, je demande à Marine, je demande à tous mes colocs, mais personne n’a vu le briquet d’Ally.

Mon seul souvenir de cette rencontre. La seule preuve tangible que cette rencontre n’était pas qu’un rêve éveillé. Ally. Ally, qui n’a jamais répondu à ma lettre, envoyée il y a bientôt un mois.

Demain, je pars pour le week-end faire un tournoi de volley vers Barcelone. Je cherche encore mon briquet, mais impossible de le retrouver. C’est un signe du destin. Un signe du destin que c’est terminé, qu’il n’y a plus rien à espérer.

Dans la voiture pour Barcelone, une amie essaie de me remonter le moral. “Mais non, c’est peut-être un signe du destin que tu dois le contacter, plutôt, non? Et comme ça il pourra te redonner un nouveau briquet.”

Alors je tente un petit message, tout simple. Hey, Ally, how have you been? Ce sera ma dernière tentative, et s’il ne me répond pas, c’est que c’est mort.

Je fais du volley, je fais la fête, je fume des clopes, je fume des joints. Un tournoi habituel, somme toute, très sympa sous le soleil espagnol que j'aime tant. Mais ça fait trois jours depuis mon message à Ally, et je n’ai toujours pas eu de réponse.

Alors je le supprime d’Instagram, histoire de ne plus être tentée de voir son visage. Je suis triste, bien sûr, mais c’est juste l’heure de laisser tout ça derrière moi. C’était une histoire simple, brève, sans trop de conclusion, un rêve éphémère. Le fait que ce moment n’existe maintenant que dans ma mémoire lui donne une dimension un peu plus mystique.

Sur le chemin du retour, mon téléphone sonne. Ally. “hey! doing quite alright on a sunday. how about you?”

Mon cœur s’emballe, mais je ne réponds pas tout de suite. Tout ça pour ça. Tout ça pour une lettre ignorée.

En arrivant à la maison, je croise Marine. “Anaïs, je voulais te dire… On a retrouvé ton briquet, quelqu’un l’avait emprunté… je te l’ai posé dans ta chambre.” 

Encore un signe du destin? Je réponds à Ally. Parce que même s’il a répondu à mon message, il n’a pas répondu à ma lettre. I just wanted to say I’m glad we met and I really enjoyed spending time together. Maybe our paths will cross again someday, maybe not. take care

Réaction cœur. “I just emptied my mailbox and found your letter! Thank you so much for writing and the feelings are mutual! Sorry I’ve not been replying, I’ve been a bit overwhelmed recently…”

Je saute de joie, je danse de partout. J’achèterai le premier billet de train pour Amsterdam s’il me disait de venir le rejoindre.

Ma bonne humeur s’étale sur une semaine. Une semaine, parce que c’était le dernier message que j’ai reçu de sa part. Depuis, plus rien. Plus jamais rien. Mais ce soir, je suis aux anges, alors je décide de cuisiner un brownie pour mes colocs.

Alors que je suis en train de cuisiner, la propriétaire de l’appartement arrive avec une fille pour lui faire visiter une des chambres. Elle reste discuter avec moi pendant que je cuisine, pour me poser des questions sur l’ambiance de la coloc, sur notre fonctionnement, sur le profil des autres colocs.

Je lui raconte avec ma bonne humeur débordante qu’on organise des dîners tous ensemble une fois par semaine, qu’on s’entend super bien, que c’est un peu comme vivre en colonie de vacances ou dans un épisode de Friends tous les jours.

Elle est très réceptive à ce que je lui raconte, puis on commence à parler un peu de nous. Elle aussi, elle vient de Lyon. J’aime beaucoup sa vibe, je la trouve super sympa, et je me dis qu’on pourrait vraiment être amies si elle venait vivre avec nous.

Le lendemain, on reçoit un message de la proprio. 

Louane emménagera la semaine prochaine.

Louane, c’est cette fille que j’ai fait visiter. J’ai hâte de voir si mon instinct était juste.

Le prochain entraînement de volley, Marc est là. Il arrive, tape dans la main de tout le monde, s’arrête devant moi. Je lève le bras. Il me prend par l’épaule. “Quand même…” et me fait la bise. Je reste là, bras en l’air, un peu médusée. 

Après l’entraînement, je sors boire des verres avec les gens de l’équipe. Comme après chaque entraînement, finalement. La douceur de l’automne Marseillais est plutôt propice aux cannettes de bière sur un banc au milieu de la nuit.

En rentrant ce soir, vers minuit, je reçois un message de Marc. “Tu es à Mars maintenant?” Il me pose des questions, où j’habite, c’est quoi mon travail, pourquoi je ne lui ai pas dit que j’avais déménagé.

J’avais juste pas envie de le voir. Après tout ce qu’il m’a dit, je ne me sens pas prête à lui pardonner. Mais je sais qu’il va recommencer ce petit jeu, ce petit truc où il me cherche puis fait comme si de rien n’était. Alors j’accepte quand il me propose de se voir. J’accepte, juste pour pouvoir lui dire que je ne veux pas qu’on reprenne contact.

Quelques jours plus tard, Louane pose ses bagages dans la dernière chambre libre. On s’entend bien directement, on inaugure notre amitié par un petit joint de célébration. On sort souvent ensemble faire la fête, on s’organise des sorties à Emmaüs, on passe des après-midis à faire de la broderie.

Cette nouvelle amitié est un peu salvatrice. Ça fait des mois qu’Aurélien et moi, c’est plus trop comme avant. Il y a quelques mois, on se parlait tout le temps par message. Maintenant, ça fait presque un mois que je n’ai pas de nouvelles. J’avais essayé un peu de garder contact, mais ses réponses étaient souvent froides et un peu sèches. Je ne sais pas pourquoi.

Alors je décide de faire le premier pas, et je lui envoie un très long message vocal. Je lui dis que je ne le reconnais plus vraiment. Qu’on change tous les deux, et qu’on est en train de prendre des directions opposées. Que je me sens un peu seule, parce que lui et Julia se sont éloignés. Que je les aime toujours autant, mais que je n’ai plus vraiment l’impression qu’on forme une équipe. Que je suis blessée d’avoir perdu notre dynamique.

Il lui faudra trois semaines pour m’apporter une réponse, pour me dire que moi aussi, j’ai changé, et qu’il a “plus de mal à relate” avec ce que je vis. On est juste dans des phases de vie différentes.

J’ai l’impression d’avoir perdu mon meilleur ami. A Marseille, je me construis une nouvelle vie. Je repars vraiment à zéro, comme si tout ce que j’avais fait avant n’avait pas d’importance. Comme si mes piliers s’étaient effondrés. Et je contemple tout le travail qu’il me reste à accomplir avant d’avoir à nouveau une base solide.

Mais je ne perds pas espoir. Finalement, c’est tout ce que j’ai vécu jusqu’ici qui fait de moi la personne que je suis. Si je continue à suivre mon instinct, je trouverai sûrement ma voie.

Ce matin, je suis réveillée par le bruit de la pluie. Le bruit, fort, de la pluie. Je ressens un peu d’appréhension, je veux savoir si la fuite d’eau de mon ancienne chambre a été réparée…

J’enfile mes Crocs et je me dirige vers la cuisine. En arrivant dans le couloir, je vois une flaque d’eau immense qui vient de la cuisine. Je m’approche, quand le plafond de la pièce à côté de moi s’effondre. Bruit sourd. Le placo qui se brise sur le sol. L’eau qui éclabousse le bout de mes Crocs.

Panique. Je dis, le plus fort possible ; Euuuuh, quelqu’un est réveillé? La voix qui tremble. La respiration qui s'accélère. Panique. Respire. Marine sort de sa chambre. “Anaïs, calme toi. Respire. Calme toi.” Je prends une grande inspiration. Je lui explique la situation. 

On range le linge qui séchait dans la cour, qui donne sur la cuisine. Par la fenêtre, on voit un bout de plafond s’effondrer. Puis un autre. Et encore un autre.

Angoisse. J’appelle la propriétaire, on sort prendre un petit déjeuner dehors. De toute façon, il n’y a rien à faire.

Un artisan vient déblayer les gravats, sécuriser l’électricité, il nettoie l’appartement. Mais à chaque fois que je pose le pied dans ce couloir, je ne peux pas éteindre cette petite alarme de ma tête. Cette alarme de danger.

Alors je décide que c’est trop. Je ne peux pas vivre dans l’angoisse constante que le plafond s’écroule sur ma tête. Je commence à regarder de nouveaux appartements, pour déménager. Je ne veux plus rester ici. Et il y a eu trop de signes du destin qui me disaient de m’en aller.

Dans cette décision de quitter cet appartement, une chose me fait hésiter - je sais pas si je suis prête à quitter mes colocs. Comme je travaille de la maison, j’ai peur de me sentir un peu seule. Et j’ai peur de perdre les amitiés que j’ai commencé à créer. J’ai déjà presque perdu mes deux piliers, Aurélien et Julia.

Le prix de la liberté, le prix d’être enfin moi-même. Mais je ne suis pas prête à abandonner qui je suis. A abandonner cette vie un peu roots, cette quête d’aventures. A retourner à Genève, dans mon appartement, avec la vue sur les montagnes, à fumer des joints sur la terrasse en regardant les étoiles. A avoir à nouveau la vie d’une personne de 45 ans. Posée, tranquille, à bruncher et faire des soirées dîner stylé-verre de vin-dessert healthy-jeux de société. Avec encore les mêmes personnes, que j’adore, et encore les mêmes jours qui se répètent. La vie qui défile, tout qui se succède.

Une vie qui me convenait, à une époque. Mais plus maintenant. Je veux pas être avec des gens qui ont des enfants. Je veux sortir, faire la fête, profiter de chaque instant, partir dans un autre pays sur un coup de tête. Partir faire la van life, peut-être, un peu plus tard. Pas moisir dans la campagne genevoise.

J’exclus pas de retourner là-bas, et de me poser. Mais pas maintenant. J’ai parcouru tellement de chemin jusqu’ici, pour devenir enfin la personne que je voulais être. Enfin, je ne suis pas encore complètement sûre d’avoir tout compris à la vie, mais je m’en rapproche drôlement. Je n’ai plus cette peur de ne pas correspondre au moule de la société. 

Je ne veux pas retourner là-bas. Je ne veux pas les rejoindre. Alors je m’engage un peu plus loin dans la Voie de la Solitude, en m’éloignant de ceux qui comptent tant pour moi. Ceux que je considère comme ma vraie famille. Mais la Anaïs d’aujourd’hui, elle ne va plus dans cette famille. 

Alors elle erre, seule, un peu sans savoir où aller. Que faire, à qui parler. Avec un besoin de discussions profondes, qui me prennent les tripes. 

Mais le vide. En chute libre. Et cette fois, plus personne sur le bord du train pour me rattraper. Mais j’ai confiance. Je sais qu’en bas, j’ai un filet de sécurité posé par le Destin. Et j’y crois, de toute mon âme, parce que sans filet je risque de m’écraser. Et de ne pas me relever.

Et je sais que maintenant, je suis bien plus forte. Un peu trop, peut-être. Ce besoin d’indépendance qui me pousse aussi à m’éloigner. Croire que je pourrais remonter la falaise, seule.

En plus je déteste l’escalade. Mais peut-être que quelqu’un viendra à mon secours, et je pourrais remonter la falaise, avec son aide. Alors je dois garder mon cœur ouvert, ouvert aux possibilités. Et laisser la prochaine personne qui croise mon chemin me tendre la main. Et me demander si je vais bien quand mon plafond s’écroule.

Je commence à devenir très proche de Louane, on fume tout le temps des joints ensemble. On sort faire la fête, elle prend de la C, me file de la D, ensemble on pourrait réécrire l’alphabet. Je rencontre son meilleur pote Adrien, avec qui je m’entends incroyablement bien.

Adrien, Louane, moi. Un week-end sur deux, on sort faire la teuf, on va en brocante, on zone à l’appart. On fume des joints, on regarde des films, on fait de l’aquarelle, on fume des joints, on fait de la couture, on fait de la broderie, on fume des joints, on fait des brocantes, on fait la cuisine.

Louane, ça devient mon pilier à Marseille, un peu. Je regrette un peu de déménager, parce que Louane, elle m’aide à remonter la falaise. Et en même temps, je me dis que c’est peut-être pas une si mauvaise chose. Que vu qu’on n’habite plus ensemble, notre amitié sera peut-être un peu plus forte, parce qu’on aura chacune notre espace personnel, notre liberté, et qu’on ne se verra que quand on en aura envie, sans se marcher dessus constamment.

Alors je m’engage toujours plus loin dans la Voie de la Solitude. Le truc avec la Voie de la Solitude, c'est qu'on s'enfonce dans notre monde. Loin des normes, loin de la société. 

Et dans un sens, c'est ce que je recherche. Savoir qui je suis, au fond, la vraie Anaïs, celle qui n'a pas été influencée par les codes qu'on lui a imposés. Mais cette personnalité profonde, elle n'a pas de lien avec la réalité. Elle ne s'adapte pas à son environnement. 

Un peu comme pendant le Factory Reset, elle aimerait passer ses journées à danser dans la forêt. L’herbe mouillée sous ses pieds, respirer l’air frais, parler avec les rochers.  Écouter les oiseaux chanter, sans se conformer au rythme qui lui est dicté. Échapper à la réalité.

La réalité - travailler. Partir en rando le week-end - pourquoi ce concept du week-end d'ailleurs, et poster des storys sur Insta pour montrer au monde entier qu'on a une vie palpitante. Qu'on reste pas dans notre canapé comme une vieille loque pendant le "week-end". Qu'on a la thune de partir en montagne avec des lunettes de vitesse à la pointe de la mode. Qu'on est plus forts, plus beaux, plus actifs. Plus cools. Bien dans le moule. 

Ne pas savoir se contenter de ce qu'on a. Chercher toujours plus, toujours plus de thunes, toujours plus de fringues, toujours plus d'iPhones, toujours plus de voyages au Maroc pour le "week-end". En bons élèves du capitalisme.

Pendant ma vie à Genève, j'étais au premier rang. Toujours plus. Cette angoisse de ne jamais avoir assez d'argent, malgré un salaire à ne plus savoir quoi en faire. Les économies qui s'empilent et la vie qui file. 

Mais récemment, mes notes dégringolent. Je ne suis pas la dernière, loin de là. J'ai une voiture, un appartement, de quoi tenir plusieurs mois sans revenu et ne pas me retrouver à la rue. Mais dans la Voie de la Solitude, je me libère lentement de ces principes ancrés en moi. J'oublie ce que j'ai appris. J'y perds des amis. 

Parce que je m'éloigne. Je m'éloigne de la société, je m'éloigne du monde, et je vis, seule dans ma tête, sans me soucier de ce qui m'entoure. 

Alors je dois faire attention. Naviguer en pleine conscience dans l'océan des possibles, mais ne pas m'y noyer. Ne pas me faire surprendre par une tempête. Et poser le pied sur la terre ferme, de temps à autre, pour ne pas perdre de vue la réalité et errer à tout jamais.

Cette semaine, je me sens vraiment bien. Heureuse, complète. Alors je me dis que si je dois voir Marc, ce vieux truc que je fais traîner depuis plus d’un mois, c’est le moment. Je préfère le revoir maintenant que je vais bien, pour ne pas risquer de me raccrocher à lui dans un mauvais moment.

Ça te dirait de se voir ce soir? On peut faire un peu de volley si tu veux.

“Je suis chaud qu’on se voit, mais je me suis fait mal à l’épaule ce week-end…”

Ah, alors on peut aller prendre un verre.

“Tu veux pas qu’on aille faire un petit plouf plutôt?”

Oui, pourquoi pas.

Il m’envoie un point de rendez-vous et un horaire. Je suis un peu en retard. Sur le chemin, je prends vraiment le temps de regarder le soleil commencer à se coucher sur la mer. C’est magnifique, j’essaie d’en profiter le plus possible.

Quand j’arrive, il est saoulé. “T’es en retard, c’est presque fini…” Ah. En fait, le spot où il m’a emmenée, c’est un super endroit pour regarder le sunset. Moi qui pensais passer un moment tranquille entre potes pour prendre de nos nouvelles, me voilà assise sur un rocher pour regarder le soleil se coucher. Certes, c’est magnifique, mais c’est juste pas trop ce que j’imaginais.

Au même endroit, sur le caillou d’à côté, il y a une meuf qu’il connaît. Alors comme d’habitude, à chaque fois qu’on est ensemble mais qu’il y a des gens autour, il est froid. Il ne parle pas trop. Et moi non plus, je ne sais pas trop quoi lui dire.

On échange des banalités, il me parle vite fait de son taf. On ne sait pas trop quoi se dire. La vue est belle, la compagnie est boring as fuck. Heureusement, comme j’étais en retard, il ne tarde pas à faire nuit. On décide tous les deux qu’il est temps de rentrer.

“Sorry, c’était un peu court ce soir”. Ouais, court et surtout pas très fun. Au moins, je suis fixée. J’ai rien à lui dire, il n’a rien à me dire. Ce truc qu’on avait, cette force qui nous attirait, elle est partie. J’ai une toute petite nostalgie, parce qu’on avait quand même quelque chose de fort, mais en même temps je suis soulagée et je me sens beaucoup plus libre.

Je sais aussi que je pourrais le revoir à l’avenir sans qu’il y ait d'ambiguïté, j’ai même pas envie d’être sa pote ou de passer du temps avec lui. Il existe, on est cordiaux, et ça s’arrête là.

Ce week-end, j’avais un tournoi de volley à Barcelone. On est dimanche soir, mon bus part à 23h50. Je zone un peu sur le tournoi avant de repartir en ville.  Sur la plage, je croise un joueur qui connait une fille de Marseille. Il me demande ce que je fais ce soir. “Tu veux venir fumer des joints à la maison avant de partir prendre ton bus?”

Me voilà, entourée par trois irlandais, à rentrer dans le centre-ville de Barcelone, complètement défoncée. J’ai mal au ventre à force de rire, j’en pleure même. On est tous les trois super highs, on vibre à la même fréquence.

Quand on arrive chez mon nouvel ami, on se pose dans le canapé pour (encore) fumer. Le temps passe, c’est l’heure pour moi d’aller prendre mon bus. Je me prépare à me lever, quand mon nouveau pote me demande, “Et si tu restais ici quelques jours de plus?” 

Je suis un peu surprise, je réfléchis quelques secondes. Pourquoi pas, après tout. La weed trouble un peu mon jugement, mais j’achète des nouveaux billets de bus pour mercredi.

Nos deux autres amis irlandais s’en vont, et je me réveille le lendemain matin. Il me faut quelques instants pour réaliser où je suis. Et presque regretter. Je suis bloquée trois jours chez quelqu’un que je ne connais pas. Il était peut-être juste poli en me proposant ça. Pourquoi je n’ai pas plus réfléchi avant d’accepter?

Mais au bout de quelques minutes, tous mes doutes s’évaporent. On monte un co-working dans son salon, on cuisine ensemble, on rigole, on sort boire des bières, on fume des joints. Je passe trois journées pleines de fun, et je me sens incroyablement chanceuse de pouvoir travailler d’où je veux.

J’enchaîne sur un autre championnat de volley, uniquement féminin cette fois. Je sais pas, je me sens trop bien. Motivée. J’aime bien toutes les joueuses de mon équipe, je sens qu’on a une bonne énergie ensemble. Alors j’ai envie de bien jouer, mais surtout, pour la première fois de ma vie, de gagner.

Pendant les premiers matchs, je suis trop fière de réussir à avoir cet impact sur le terrain. Je n’ai jamais aussi bien joué, je suis super concentrée, je fais plein de belles actions. 

Puis, on joue contre les filles de Lyon, mon ancienne équipe. J’étais vraiment devenue très proche de certaines d’entre elles. J’ai peur de ne pas réussir à donner le meilleur de moi-même contre mes amies.

Mais finalement, ça a été l’effet contraire. Je n’ai jamais eu autant envie de gagner, jamais eu autant envie de renvoyer ce ballon. Jamais eu autant envie de montrer à mes potes de quoi j’étais capable et de progresser avec elles.

A la fin du match, c’est à mon tour de parler devant les deux équipes. “Je… En fait, je dois vous dire… Que j’ai adoré ce match, et c’était vraiment un plaisir de jouer contre vous… et… Je suis trop émue, alors je vais laisser quelqu’un d’autre parler…”

J’essuie mes larmes. Une fille de mon équipe me prend par les épaules. “Mais oui, Anaïs, c’est ça, le sport, c’est toutes ces émotions!”

J’ai l’impression d’avoir découvert une nouvelle palette de sensations. Une envie de gagner, une envie de tout donner. Cette petite frustration quand je perds, mais aussi cette fierté d’avoir fait de mon mieux. Cette envie de progresser et de devenir plus forte.





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