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Chapitre 5 - La vie, c'est des cycles



Les chansons du chapitre:

Elle est taureau - Louisadonna

Il existe un endroit - Bekar & Blandine

Ligue des Champions - Lujipeka

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J’arrive à Lyon, un peu comme la dernière fois. Un peu comme une fleur, au milieu de tous ces gens qui taffent, au milieu de tous ces gens qui ont plein de potes, au milieu de tous ces gens qui ont une vie bien remplie. Moi, je suis là, je travaille pas, je fais un peu de volley. 

J’en profite aussi pour bosser sur le micro-festival qu’on organise avec Aurélien. On a décidé de l’appeler Tarpin de Basses, TpB pour les intimes. 

Réserver un camping, trouver des invités, prévoir les DJs. Je fais même un filtre Instagram pour l’occasion. J’apprends à faire des visuels, je m’achète une tablette graphique à 30€ sur leboncoin pour dessiner le logo. On a déjà organisé un festival pour 10 000 personnes avec Aurélien, alors même si on est que deux, on sait exactement ce qu’on doit faire pour divertir une cinquantaine de personnes. 

Tout est simple, fluide, on se comprend, son pessimisme latent compense mon optimisme débordant. On a pas besoin de discuter pendant des heures sur des sujets qui ne font même pas débat.

Notre seul problème, c’est qu’on a pas assez de potes qui mixent. Pas de soucis, en plus d’apprendre à faire du design, je n’ai qu’à apprendre à mixer pour occuper les afters et faire durer la fête plus longtemps.

J’emprunte les platines d’un ami à nous, je prépare une playlist, je regarde des vidéos sur YouTube, et je me lance. Je choisis un nom de DJ, un truc un peu à l’image de ma musique, mais fun - un peu comme moi. 

Comme c’est un peu compliqué d’apprendre seule, je trouve quand même un DJ sur Tinder qui me propose de venir chez lui me montrer quelques trucs. J’accepte avec grand plaisir, et me voilà à faire 3h de cours de mixage individuel gratuit.

A l’entendre, j’ai l’air de plutôt bien m’en sortir. Ces six années de piano quand j’étais enfant m’ont peut-être bien servi, finalement. Je dois avoir gardé un certain sens du rythme.

Même si je me suis trouvé une nouvelle occupation et que j’agrémente mes semaines de dates Tinder sans intérêt, je me sens seule. Et je m’ennuie toujours un peu.

Comme l’avait dit Leo, il faut que j’apprenne à être bien seule. Il faudrait que j’aie un but, aussi. Avoir un but, c’est ça qui nous fait avancer, finalement. Mais quel but? Pour quoi faire? Pour aller où? 

Si je pouvais, je repartirais sûrement à vélo, mais mes économies diminuent à vitesse grand V depuis que j’ai démissionné. Et je ne suis même pas sûre que j’aurais vraiment envie de repartir à vélo. Pour aller où?

Pour pédaler, tous les jours, tout le temps, voir des beaux paysages? Pour rencontrer des gens, créer des amitiés, des amitiés qui durent une journée ou deux, et puis qui disparaissent?

Enfin, pas vraiment. J’ai gardé contact avec plusieurs personnes rencontrées pendant mon voyage. Mais c’est un contact un peu sporadique.

Regardez-moi, Anaïs qui utilise des mots compliqués. Adieu l’esprit terre-à-terre. Comme j’ai rien à faire de mes journées, je lis beaucoup. Sur l’anticapitalisme, sur le féminisme, sur la non-violence. J’essaie de combler tant bien que mal le vide que je ressens.

Voyager, ce serait la solution toute simple pour combler ce vide. Retrouver une liberté totale dans ce que je veux faire, ne plus avoir de cadre. Pourtant, c’est l’heure de me poser un peu. Ce cadre, il est inconfortable, mais je crois que j’en ai un peu besoin.

Juste quelques mois, histoire de remettre un peu d’ordre dans ma vie. Reprendre mon souffle. Arrêter de papillonner. Et je peux être libre, free spirit, tout en ayant une base stable. 

Et cette base, à Lyon, elle commence par le volley. Ce soir, j’ai un entraînement féminin contre l’autre équipe de Lyon. Pendant les matchs, je remarque une fille dans l’autre équipe… Je sais pas trop comment dire, elle dégage une énergie, un truc, une vibe… Je cherche personne en ce moment, mais si je voulais une meuf j’irais directement lui parler.

Le week-end suivant, j’aide mes anciens potes de Genève à organiser un tournoi. Je joue dans l’équipe de Julia, avec son papa et Aurélien.  Maintenant qu’ils sont officiellement ensemble, c’est marrant de voir Aurélien jouer avec son “beau-père”.

On joue notre premier match contre une équipe de Lyon. La fille de la dernière fois est là, elle défend sur moi. Elle a une casquette bleue, avec un petit dinosaure dessus, qu’elle porte à l’envers. Quelques mèches de cheveux bruns s’échappent devant son visage, sa peau bronzée respire le soleil, un tatouage lui recouvre la cuisse. Elle est grande, élancée, elle court vite et je peux ressentir sa concentration et son envie de gagner.

Hé… J’adore ta casquette. “Hein, euh… merci.” Elle a l’air complètement déstabilisée. Je lui souris, mais j’ai l’impression que je l’ai embarquée dans un tourbillon de panique. Je pense que je lui plais aussi, au moins un petit peu.

Mais je reste trop timide pour tenter plus que ça, alors je ne fais rien de plus que de lui sourire quand nos regards se croisent. 

Le soir, après les matchs, je dois tenir la caisse du tournoi pendant quelques heures. La fille de Lyon arrive pour acheter quelque chose, j’en profite pour lui parler un peu et demander son prénom. Coline.

Elle reste au moins une demi-heure à côté de la caisse, pour discuter et me tenir compagnie. Je suis maintenant convaincue que je lui plais. Mais quand une de ses potes arrive la chercher, et lâche un petit; “Alors, Coline, tu commences à préparer ton départ en Australie avec ta copine?”, tous les feux s’allument orange.

Pas rouge, parce qu’elle est peut-être en relation libre. Mais orange, parce que je ne suis pas sûre qu’elle soit en relation libre.

Quelques heures plus tard, j’ai fini de fumer avec Ludo, et je ne me contrôle plus à cent pour cent. Je ne peux pas m’empêcher d’échanger des regards avec Coline, quand on danse côte à côte. A un moment, nos mains s’effleurent. Nos yeux se croisent, et elle prend ma main doucement.

Coline… Je croyais que tu avais une copine? “Euh… on peut parler dehors un moment?”

On s’éloigne de la fête pour aller regarder les étoiles. “En fait, oui, j’ai une copine… et je suis pas en relation libre… Enfin, je pensais pas que je voulais ouvrir ma relation avant de te rencontrer… Du coup, j’aimerais en parler à ma copine en rentrant. Je ne veux pas qu’il se passe quelque chose ce week-end, mais si c’est ok avec ma copine alors j’aimerais beaucoup qu’on se revoit.”

Je vois… Ecoute, je pense que dans tous les cas, si tu veux ouvrir ta relation, il faut que ce soit une décision vraiment réfléchie, et pas juste pour moi. Après, je pense que si tu ressens ce besoin avec moi, tu le ressentiras sûrement aussi avec quelqu’un d’autre, mais c’est peut-être pas forcément le bon moment. Après, moi je suis ok, mais il faudra aussi faire attention à ne pas trop s’attacher. Je ne sais pas trop ce que je fais dans ma vie, et je veux être libre de pouvoir bouger où je veux, quand je veux, sans trop me poser de questions.

“Oui, je vois. En fait je pense que pour le coup, je ne risque pas de m’attacher… Enfin, tu as l’air incroyable, mais je vois des red flags chez toi et je ne me verrais pas avec toi…”

Je rigole. Des red flags? Alors qu’on se connaît si peu?

“Bah… Déjà tu fumes…”

Ça me fait rire encore plus. D’ailleurs, tu as quel âge?

“21 ans… et toi?” 

Aïe, 21, j’ai l’impression d’être une mamie du haut de mes 26 ans. Je me dis que c’est peut-être comme ça que Marc se sentait quand il me disait que la différence d’âge le dérangeait un peu. 

Alors, Coline, vu que t’es quand même plus jeune que moi… Je veux pas du tout que tu prennes ta décision pour ta relation par rapport à moi… Comme on l’a dit je ne peux rien t’apporter ni te promettre, donc réfléchis-y sans me prendre en compte.

C’est un peu compliqué parce que je veux vraiment zéro responsabilité et je lui remets tout sur les épaules, et en même temps je sais pas non plus où je me situe. J’ai pas envie d’un truc compliqué, alors cette situation me fait peur.

On rentre se coucher, et on passe le reste du tournoi toutes les deux. On parle beaucoup, on s’entend super bien, et ce soir, ses lèvres sont à quelques millimètres des miennes pendant quelques instants, seules sous le ciel étoilé. Je ressens son souffle chaud sur mon visage. Je serai presque prête à me laisser tenter, mais je m’éloigne. On avait dit non… On verra quand tu auras discuté avec ta copine…

Je lui souris, lui fais un bisou sur la joue pour lui dire bonne nuit. Et je vais me coucher seule dans ma tente, toute troublée.

Quand je rentre à Lyon, c'est enfin le moment de récupérer mes chats. J’ai un peu d’appréhension, parce qu’avec les chats, fini la fast life. Fini les départs au bout du monde sur un coup de tête. Mais je les aime tellement, ils me manquent, et je ne peux pas les laisser avec mes parents toute leur vie. Et puis ça me forcera à poser les fondations de cette base stable que je recherchais.

Alors je vais les chercher, et je les ramène avec moi, dans cette coloc au cinquième étage d’un vieux HLM à Lyon. Je passe la semaine avec eux, je leur apprends que le cinquième étage, c’est haut. Je les habitue au balcon.

Pour occuper mes journées vides et borings, je propose à Coline une sortie à vélo. On se pose toutes les deux au bord d’un lac, on trempe nos pieds dans l’eau. J’ai amené un peu de banana bread. Elle me raconte qu’elle a discuté avec sa copine, qu’elle est d’accord pour qu’on s’embrasse et qu’elles ouvrent leur relation. Par contre, on ne pourra coucher ensemble qu’à partir de la semaine prochaine, parce que ce week-end on retourne à un tournoi de volley toutes les deux. Allons savoir pourquoi tout changera après ça, mais c’est la règle. 

Pendant la première soirée du tournoi, on s’embrasse. Ça me rappelle l’année dernière, et Rose. Ce tournoi, c’est mon tournoi gay, en fait. 

Le lendemain, pendant la soirée, je fume un énième joint avec un espagnol que je viens de rencontrer. Il est une heure et demie, la musique résonne à côté. On regarde les étoiles. Mon téléphone sonne.

“Oui, c’est votre voisine… Je viens de trouver votre chat…” Mon chat ? Où ça ? “Oui, il est tombé du balcon…” 

Des milliers de questions fusent dans ma tête. Pichu, Plume, Mochi ? J’appelle mon coloc qui est à la maison. Heureusement, il répond. Il accompagne la voisine aux urgences vétérinaires.

Lundi, j’arrive aux urgences récupérer Pichu. Le vétérinaire me fait un long discours, sur son état, rien de grave, il devrait s’en remettre, il faut lui donner des médicaments et on fait un rendez-vous de contrôle vendredi.

Mardi, Pichu n’a toujours rien mangé. J’appelle le vétérinaire. “Non, c’est le choc, c’est normal, on voit vendredi.” Mercredi, Pichu n’a toujours rien mangé. J’appelle le vétérinaire. “Non, c’est le choc, c’est normal, on voit vendredi.” Jeudi, Pichu n’a toujours rien mangé.

Pour me changer les idées, échapper à l’inquiétude, je vais à l’entraînement de volley. Il pleut légèrement. Je m’arrête et je regarde le ciel.

Il y a un arc-en-ciel. Un arc-en-ciel complet, double. Et un coucher de soleil aussi beau que ceux que j’ai pu voir en Espagne. Le ciel, magique.

On sort boire quelques verres après l’entraînement, je fume un peu, heureuse d’oublier mes craintes quelques instants.

Je rentre tard, fatiguée. Quand j’ouvre la porte, Pichu est posé sur son coussin, face à moi. Immobile, les yeux à moitié ouverts. J’enlève mes chaussures, je lui parle.

Aucune réponse, aucune réaction. Je m’assois à côté de lui. Aucune réponse. Aucune réaction. 

Je sais. Je sais que mon chat est mort. J’appelle les urgences vétérinaires. Mon chat ne bouge plus, je…

Mon coloc nous conduit, moi, une chaussure au pied, l’autre dans la main, Pichu dans sa cage dans l’autre main. Mais je sais. Je sais. Je ne veux pas y croire, mais je sais.

J’arrive chez le vétérinaire. Elle pose son stéthoscope sur la poitrine de Pichu. “... J’ai pas de coeur.” Elle s’en va, me laisse seule avec son assistante.

“Désolée de vous dire ça, mais… votre chat est décédé.” Oui, je… j’avais compris. “Vous voulez que je vous laisse quelques instants avec lui?” Euh.. Je… Oui…

Seule avec Pichu. Une tristesse immense dont je ne sais pas quoi faire. L’impression que tout mon être est en train de se déchirer. Une chaussure au pied, l’autre dans la main. Je pleure comme une enfant. Seule, avec Pichu. Impuissante face à la force de la Nature.

Et dans toute cette tristesse, il y a cette petite voix qui revient. Cette voix qui me déteste. Cette voix, qui me dit que c’est de ma faute. Cette voix qui se moque d’elle, la Anaïs, qui pleure sans s’arrêter depuis vingt minutes. Cette voix, cette voix qui juge, cette voix qui rigole, cette voix qui n’en a rien à foutre parce que de toute façon c’est un chat. 

T’es capable de rien, en fait. Tu te rends compte de ce que t’as fait? T’as laissé ton chat crever sans rien faire. Vas-y, remets ta chaussure, tu fais pitié.

J’attends le retour de la vétérinaire avec impatience. Je ne supporte plus d’être là, enfermée avec cette voix et le corps de mon chat.

Comme par magie, pour répondre à mes prières, la porte s’ouvre. “Alors, du coup, je sais que c’est un peu délicat, mais pour la crémation, est-ce que vous voulez récupérer les cendres… ?” 

Je ne m’attendais pas à cette question. Mon cerveau est vide, on est deux Anaïs et pourtant aucune ne sait quoi répondre. 

Euh, je sais pas… Oui, j’aimerais bien. “Ok, alors il va falloir régler la visite de cette nuit, ça fera 53€, et puis pour la crémation ce sera 260€, on vous enverra une facture. Il faut signer ici, voilà, et puis rentrer vos informations de contact…”

Je suis un peu prise de court par toute cette procédure administrative. En même temps, il faut bien prendre ces décisions, c’est à moi de le faire, mais je ne sais pas trop pourquoi, je croyais qu’on m’aurait laissé quelques jours pour faire le point, pour y réfléchir, pour demander à Gabriel ce qu’il voulait qu’on fasse du corps de Pichu. 

Heureusement, Anaïs gère en pilote automatique pendant que la petite voix dans ma tête continue de me parler. J’ai remis ma chaussure, maintenant. Je paye, et je rentre pleurer chez moi au fond de mon lit plutôt que sur la chaise froide des urgences vétérinaires.

La suite de la semaine est compliquée, rongée par la déprime et la culpabilité. Je ramène Mochi et Plume chez mes parents, parce que j’ai trop peur de les avoir avec moi maintenant. Je ne me sens plus capable de bien m’en occuper. Je fume de plus en plus, clope sur clope, joint sur joint pour faire taire la tristesse. Passer mes journées à la maison n’aide pas non plus, sans travail, alors je sors faire du vélo de temps en temps. J’appelle Coline, qui vient passer des soirées avec moi pour me remonter le moral.

J’avais prévu de partir en vacances dans le Sud avec Lola, ça tombe à point nommé pour me changer les idées. Enfin, Lola part en vacances, moi je suis en vacances tous les jours de ma vie en ce moment. Mais ça reste un super moment, où on va au restaurant, on va à la plage, on fait des petites randonnées. Tout ça sous le soleil et dans la bonne humeur, même si Pichu me hante, un peu.

Vu qu’on est dans le Sud, elle me propose de faire signe à Marc. On pourrait passer un jour ou deux à Marseille. C’est vrai que ce serait sympa, même si je ne sais pas trop comment je me sens. Je lui envoie un message. “Vous voulez venir à l’entraînement de volley jeudi soir? C’est du beach. Vous pouvez rester dormir chez moi après.”

J’adore le beach, alors on dit oui. A l’entraînement, on joue tous les trois dans la même équipe. Dans cette équipe, d’ailleurs, il y a un mec super mignon. Il a un beau sourire, il est super fort en volley, et on a une très belle connexion sur le terrain.

Après l’entraînement, on sort boire des bières tous ensemble. Le mec mignon est assis à côté de moi. Je sens une vibe, une sorte de flirt, même si je n’en suis pas trop sûre. Au bout d’un moment, Marc nous dit qu’il veut rentrer, il est tard et il doit bosser demain. Je dis au revoir à contrecœur à mon nouveau pote (flirt?), et on rentre chez Marc.

Pendant que Lola est sous la douche, on est posés tous les deux sur la terrasse. “Alors, comment ça va en ce moment?” Je t’avoue que c’est un peu compliqué… J’ai perdu mon chat la semaine dernière, c’est la première fois que je vis un deuil et… Je sais pas trop comment gérer ça… Je… “Boh, ça va, il t’en reste un.”

Je le regarde. J’ai la haine. J’ai rarement la haine dans ma vie, rarement la haine comme ça, mais j’ai l’impression qu’on vient de me transpercer le cœur. Déjà, j’avais trois chats. Donc ça fait plaisir de voir que tu connais ma vie. 

“Du coup il t’en reste deux quoi…”

Je ne réponds pas, parce que je ne sais pas quoi répondre à ça en fait. Et pourtant, quand je me couche à côté de Lola, je ne peux pas m’empêcher de me dire que j’aimerais dormir avec lui. “Finalement, il faut que tu réfléchisses à ce que tu regretteras le plus. L’avoir fait, ou ne pas l’avoir fait?”

Je toque à la porte de Marc. “Je peux dormir avec toi?” 

Je me glisse dans son lit, et je profite de ces quelques heures à l'écouter chuchoter, comme au bon vieux temps. Ma main qui caresse son dos doucement quand il me raconte ses secrets, pour le rassurer. 

Le lendemain, je visite Marseille avec Lola. Je me rends compte que j’adore cette ville. Elle est belle, elle est pleine de vie, pleine de chaos. Beaucoup plus alternative que Lyon et ces vieux mecs de droite de partout.

Ce week-end, j’ai un tournoi de volley féminin avec l’équipe d’Aix-en-Provence. Une fille de Marseille m’a recrutée dans l’équipe. On ne se connaissait pas trop, mais pourquoi ne pas jouer avec une équipe où je ne connais personne? Free spirit.

La première soirée, je lui raconte que j’étais à Marseille la veille. J’aime beaucoup cette ville, je me verrai vraiment vivre là-bas.

“Bah, déménage.” Je rigole. Tu sais, moi j’aime prendre des décisions sur des coups de tête, il faut pas me dire des trucs comme ça… “En vrai, je te vois bien là-bas. Tu corresponds bien à la vibe de la ville.” Bon, ce soir à minuit, je te donne ma décision.

Après tout, qu’est-ce qui me retient à Lyon? Rien. Mes potes sont pas trop dispos, je suis en train de me recréer une vie dans une ville où tout est gris. Et de droite. Je ne peux pas récupérer mes chats. Ce sera mon dernier été à Lyon. Demain, je commencerai à chercher du taf sur Marseille.

Je peaufine mon CV, mets à jour mon profil LinkedIn, regarde les offres d’emploi dans la région. En quelques heures, je reçois trois appels de boîtes de consulting sur Lyon. Rien de très palpitant, rien à Marseille. J’envoie quelques CVs sans grande conviction.

Entre deux lettres de motivation, je reçois un appel d’une amie qui m’avait soutenue dans ma décision de démissionner. Elle a sa propre entreprise de consulting sur un logiciel que je maîtrise bien.

“Anaïs, comment tu vas? Ça en est où le free spirit? Ah, Marseille? Et ça te dirait de travailler pour moi? En full télétravail, et à 80 ou 60% pour que tu puisses avoir du temps pour toi… En CDD pour commencer et puis si ça se passe bien on renouvellera en CDI… Moi dans trois ans je prends ma retraite et toi tu es manager à ma place! Bon, tu peux commencer rapidement? La semaine prochaine ça te va, le temps que je fasse le contrat?”

Bon, et bien, voilà un problème de réglé. Même dans mes rêves les plus fous, je ne pensais pas avoir un travail avec autant de liberté. Est-ce que c’est un cadeau du destin pour célébrer la nouvelle vie qui m’attend? 

Quelques minutes plus tard, je reçois un deuxième appel: j’ai trouvé une coloc sur Marseille. Une coloc de huit personnes, parfait pour commencer une nouvelle vie et rencontrer des gens. Plein de gens. Et à huit, je pourrais combler le vide social du télétravail.

Presque tous les colocataires en place s’en vont, sauf un, alors on sera tous nouveaux. Je sais pas trop, je vois le potentiel de créer quelque chose. Un cercle social un peu particulier mais régénérateur.

Je commence mon nouveau travail, j’ai encore beaucoup à apprendre mais je suis plutôt confiante. Je sais que je maîtrise mon sujet. La vie est un peu plus facile, maintenant, mes journées sont occupées de 9h à 18h. Dans le vide des vacances d’été, je ne sombre pas totalement.

Par contre, je clope de plus en plus. Le matin, pour me mettre de bonne humeur avant de travailler, à 10h30 pour faire une petite pause, après le repas avec un petit café, dans l’après-midi pour faire une petite pause… Et puis quand j’ai fini, je m’allume souvent un petit joint pour me féliciter de mon dur labeur.

Aurélien n’est jamais à la maison, il est toujours avec Julia maintenant, et mon autre coloc est présent mais un peu introverti. Nos potes sur Lyon ont souvent la flemme de se voir, ou alors ils sont partis en vacances. Bref, c’est l’été, ma vie est boring, somme toute. Je comprends de mieux en mieux la Voie de la Solitude, je me retire doucement du monde à l’aide de la weed et de mon deuil.

Je compte bien sur un festival de techno aux Pays-Bas ce week-end pour me sortir de cette torpeur. Aurélien et Eliott viennent avec moi, je suis contente qu’on puisse passer un peu de temps tous les trois.

On se rejoint à Paris pour prendre le train jusqu’au festival. A la sortie de la gare, on cherche sans succès la navette qui doit nous emmener au camping. Deux mecs qui ont l’air d’aller au même endroit que nous nous abordent pour nous demander si on sait où est cette fameuse navette.

On finit enfin par la trouver, accompagnés par nos nouveaux amis, deux irlandais. On discute un peu, on leur offre une bière. On les perd en entrant dans le camping, et on va chercher un endroit stratégique pour poser notre tente. On est arrivés tôt, mais les meilleurs spots sont déjà tous pris.

On se trouve un petit coin tranquille et surtout plat, et on commence à s’installer. Une fois que nos tentes sont bien en place, je lève les yeux, et voit quelques mètres plus loin nos deux amis irlandais. Leur tente est posée juste à côté de la nôtre. On partage à nouveau quelques bières, je prends le numéro de l’un des deux, Jake, et je me dirige vers la musique avec Aurélien et Eliott.

Je demande à Aurélien s’il voudra des taz, il me dit que non, il n’a pas envie d’en prendre, ou alors vraiment pas beaucoup. En quelques minutes, je trouve de quoi faire mon bonheur (je deviens forte à ce jeu!), et je prends ma première petite consommation.

Je reçois un message de Jake qui me propose de me rejoindre. Allez, pourquoi pas. Je me sens super bien, la drogue fait son effet. Il arrive, et au bout de quelques minutes, il met ses mains sur mes hanches. Je sais qu’il a envie de me pécho, vu mon état ce ne serait pas désagréable, mais mes idées ne sont pas forcément très claires dans l’immédiat. Je retourne voir Aurélien et Eliott pour demander à des cerveaux un peu plus lucides s'il est vraiment mignon ou si je veux juste y aller parce que j'ai envie de contact physique.

“Boh, ça va, il est pas mal ce mec, ouais tu peux le pécho, c’est pas la drogue qui le rend attirant je pense.” En rétrospective, en écrivant ces lignes, je suis en train de me dire que c’était carrément la drogue qui le rendait attirant et que c’est quand même pas du tout mon style. C’était peut-être plus le style d’Aurélien, qui a su me convaincre. Mais pécho sera reporté à demain, ce soir je veux juste profiter des concerts tranquille. 

Le seul souci, c’est qu’Aurélien et Eliott, ils n'aiment pas la même techno que moi. Je m’éclipse de temps en temps pour aller voir des DJs qui sont plus mon style. J’ai un petit côté de moi-même qui me dit que je devrais peut-être plutôt passer du temps avec eux, mais un autre qui me dit que je devrais aller voir ce que moi, je veux. Cet autre côté qui apparaît avec la Voie de la Solitude, et que je décide d’écouter.

Cet autre côté qui n’est pas forcément négatif - c’est juste faire ce que j’ai envie de faire, et ce qui me rend le plus heureuse. Je peux passer du temps avec Aurélien et Eliott ce week-end, et aussi passer du temps seule. C’est OK.

Au milieu de la soirée, je reçois un message d’Aurélien ; “Je pourrais avoir un petit taz?” Je les rejoins pour lui donner sa petite consommation et on termine la soirée ensemble. Je me rappelle Aurélien et ses grands principes en arrivant… comme d’habitude, quoi.

Je me lève vers 6h du matin pour aller faire pipi. En arrivant à ma tente, je passe devant les cousins des deux irlandais que j’avais rencontré plus tôt. Ils sont assis sur des chaises de camping, et fument un joint. Je fais demi-tour, vais me présenter, et demande si je peux fumer avec eux.

On commence à discuter et on rigole bien. Je comprends rapidement que le cousin de Jake, il a dans son sac une pharmacie avec toutes les lettres de l’alphabet. Je retiens, au cas où j’ai besoin d’un petit quelque chose. Après une heure, je roule un dernier joint et retourne me coucher.

Le réveil est difficile, le lendemain matin. Je prends une petite bière pour le petit-déjeuner, quoiqu’à 14h on pourrait appeler ça un déjeuner, avec une tranche de pain de mie et de la vache qui rit. Je rejoins mes nouveaux amis irlandais et on va tous ensemble sur le festival.

Je prends ma première petite consommation de la soirée, et le bien-être s’installe doucement. Ce soir, je sais que je peux pécho Jake, alors je tente ma chance. Très rapidement, c’est dans la poche. Je rejoins à nouveau Aurélien un peu tard parce qu’il voulait une petite consommation.

On rentre, éclatés, après une deuxième nuit de festival. On se pose autour de la tente des irlandais, ils enchaînent les traces de C, de K, les joints. C’est la fin de la soirée, je ne prends que de la weed. Je n’ai jamais pris de C ou de K. Même si les gens sont très bienveillants, je ne pense pas que ce soit le bon cadre pour tester un nouveau truc. Et j’ai toujours refusé la C, parce que vu mon passif, je pense ça risque de me matrixer.

Regardez-moi cette Anaïs mature et responsable. Au milieu de toute cette drogue, donc, le cousin de Jake. Il est avec une fille, ce soir, qui est très… particulière. Elle me fait beaucoup rire, et on s’entend bien directement. Elle est d’accord avec moi sur ma théorie des vibes, des énergies, on a beaucoup de points communs malgré le fait qu’on soit extrêmement différentes. 

Elle est super sexy, bien maquillée, elle émane la confiance en elle, insensible au regard des autres. Nadia me dit, “C’est marrant, c’est rare que je m’entende bien avec des filles, mais avec toi c’est trop simple!”

Des mois plus tard, j’irai à Ghent voir Amelie Lens et Charlotte de Witte avec Nadia. Et je pense que j’aurai pu prédire que ça arriverait. Parce qu’elle avait la vibe de quelqu’un que je reverrai. J’ai revu plusieurs des personnes rencontrées pendant mon voyage à vélo, par exemple, dans des pays différents.

Ce soir, je rentre dormir avec mon nouvel ami Jake. Rien de très incroyable, mais je suis contente d’avoir quelqu’un contre moi. Je me sens bien, en plus il s’occupe de moi alors c’est plutôt agréable.

Le dernier soir, je bois un rhum-coca avec la D proposé par le cousin de Jake. J’ai aucune idée de combien j’ai pris, vu que c’était une bouteille commune pour tout le monde, mais c’était vraiment de la très bonne qualité. De la bonne vieille D d'Amsterdam, de la D qui m'envoie dans les nuages. Je vais bientôt devenir œnologue de la drogue.

Je refuse encore plusieurs fois toute la C qu’on me propose, et je finis la soirée aux aurores en after. Le lendemain, après quelques petites heures de sommeil, il faut ranger nos tentes et reprendre le train pour Lyon.

Je vais dire au revoir à mon poto Jake, à ma nouvelle copine Nadia, et à leurs cousins irlandais au nombre de l’infini. Jake et son cousin parlent avec Nadia et moi. “Si voulez, le mois prochain, on va à un festival de techno à Amsterdam. Vous pourriez venir et rester dormir chez nous si vous voulez!”

On accepte toutes les deux avec joie. Le lendemain, rentrée à Lyon, on achète nos billets pour Amsterdam et pour le festival. J’envoie un message à Jake pour confirmer que je pourrais dormir chez lui, il m’appelle, prend de mes nouvelles, me raconte sa vie.

C’est pas que je m’en fous mais un peu quand même, surtout que la personne avec qui j’ai vraiment sympathisé c’était Nadia. Mais bon, il est pas méchant et ça me fait un logement gratuit à Amsterdam. Et une promesse de sexe à peu près correct. Alors je l’écoute me parler de salle de sport à demi-absente pour lui faire plaisir.

Le contrecoup de tout ce week-end de drogue et de sous-alimentation, c’est que je suis épuisée. Je travaille par périodes de trente minutes, avec des siestes de trente minutes entre deux. Je me couche tôt, j’ai aucune énergie. Il me faut deux ou trois jours pour me sentir mieux physiquement. Mais mentalement, ça va. Je pensais sombrer dans les profondeurs de mes pensées, mais tout va bien. 

Parce que tout va mieux maintenant. Pas de tempête à l’horizon qui vient couvrir le ciel… Quoique…

Je viens de recevoir un message de Marc. “T’es chez toi dans 30 minutes? Je peux passer avec un pote faire une sieste?” Euh, oui, d’accord, je travaille mais je peux vous ouvrir.

Quand ils arrivent, on parle un peu puis je retourne rapidement bosser. Quand je termine ma journée, je vais me poser sur la terrasse pour lire un livre. Marc se réveille, et vient s'asseoir avec moi.

Tu sais, j’ai décidé de déménager à Marseille.

“Ah ouais? Pourquoi?”

Je sais pas, j’ai déjà trop vécu de choses à Lyon. J’ai besoin d’un nouveau départ. De repartir dans une nouvelle ville. Je voulais une ville dynamique, qui bouge, pas trop loin de Lyon non plus pour pouvoir rentrer souvent si ça ne me plaît pas. Et Marseille me semblait l’option parfaite.

“Ah… Ok, ouais je comprends. Et avec ton taf, ça va aller?”

Je lui parle de mon nouveau travail avec ma pote, mais il a encore son air habituel un peu jugeur. Je suis un peu mal à l’aise, depuis sa remarque sur Pichu, je lui en veux. J’ai perdu toute la confiance que j’aurais pu avoir en lui. Je sais que quoi que je fasse, il va me blesser.

Alors pourquoi j’ai dit ok pour qu’il vienne faire une sieste chez moi? (je n’ai pas la réponse)

Son pote se réveille, et ils me disent qu’ils vont aller dans un bar regarder le match ce soir avec des potes. J’hésite. “Allez, tu nous as reçus, on peut te payer une bière!” Son pote est beaucoup plus enthousiaste que lui, il ne dit rien.

Je finis par accepter, et je m’habille pour sortir avec eux. J'aurais pu le prédire, mais Marc est un peu désagréable, il m'ignore, je ne connais personne dans ce bar, je m'ennuie...

Sur le chemin du retour, je me dis que je peux tirer une belle leçon de cette histoire.

Si j’ai pas envie de faire un truc, je ne suis pas obligée de le faire. Je peux dire non, et tout le monde passera un meilleur moment. C’est ça aussi, l’apprentissage de la Voie de la Solitude.





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