Chapitre 4 - Baroudeuse chic
Les chansons du chapitre:
Skanking Trip - THK & Loïc Paulin
EMOJI SOLEIL JAUNE - disiz
UN RAGAZZO, UNA RAGAZZA - The Kolors
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Maintenant que je suis à Lyon, tout est un peu différent. Je n’ai rien à faire, les journées se font longues. Mes potes d’école sont tous occupés avec leur vie, leurs amis, Aurélien est toujours chez Julia.
J’écris beaucoup pour passer le temps. Avec Aurélien, on a décidé il y a quelques mois d’organiser un micro-festival de techno cet été, alors je m’occupe de ce projet puisque je n’ai rien de mieux à faire.
Je rejoins une équipe à volley de Lyon pour rencontrer des gens et remplir mes soirées. J’ai aussi un problème de taille, mes réserves d’herbe sont dangereusement basses.
A la fin du premier entraînement de volley, je rentre avec des gens de l’équipe. Je leur demande si quelqu’un du club aurait un contact pour acheter de la weed. A l’unisson, tout le monde me répond, “Ludo”.
Je décide que je dois devenir pote avec Ludo. J’ai envie de retrouver quelqu’un avec qui fumer des joints. Un peu un Kai numéro 2, en fait. Notre relation me manque.
J’apprends que Ludo est en coloc avec quelqu’un que je connais. Quelqu’un avec qui j’ai couché avant de partir en Espagne. Ce n’est pas une aventure d’un soir qui va m’empêcher de me faire des amis, alors je contacte Ludo et je lui demande si ça lui dit de fumer ensemble un de ces jours.
Sa réaction est un peu mitigée mais il accepte. Après tout, c’est normal d’avoir des doutes, on ne s’est jamais vus avant.
Après l’entraînement suivant, je rentre avec Ludo. On se pose sur sa terrasse, on allume un joint. Même si on ne se connaissait pas, la discussion est très fluide. On parle de nos vies, de nos aventures, de notre passé, de politique… Tout est simple et naturel.
Et surtout, on rigole beaucoup. On fait des jeux de société, pas facile quand on est super défoncés. Mais il ne s’arrête pas de faire des blagues, et je suis assez bon public. Il est une heure du matin, et je vais me coucher dans son canapé.
En rentrant le lendemain, je lui envoie un message pour le remercier pour la super soirée. Et j’admets que c’était un peu bizarre de ma part de proposer ça, mais que je ne regrette pas du tout. Et que j’ai hâte qu’on se refasse ça.
Ce week-end, il y a un gros festival techno à Lyon. J’ai prévu d’y aller avec Aurélien, Julia et d’autres amis d’école. Pendant l’apéro, je préviens mes potes que je prendrais des taz ce soir. “Moi aussi je peux prendre avec toi?”, me demande Julia.
“Non, mais franchement, moi j’y vais pour vraiment apprécier la musique, pas être défoncé, vous en avez pas marre de prendre de la drogue? Il y a pas besoin de ça pour s’amuser.”
Comme d’habitude, Aurélien fane sur la drogue. Écoute Aurélien, toi tu fais ce que tu veux ce soir, et moi je fais ce que je veux. Si j’ai envie de prendre un taz je prendrai un taz.
“Ouais bah moi j’en prendrai pas.”
Très bien, merci l’ambiance, fin de la discussion. Un pote change habilement de sujet, et on commence à se préparer à décaler.
Arrivée sur le festival, je mets moins de dix minutes avant d’acheter des taz. Je commence à avoir l'œil et bien repérer qui vend, maintenant. J’appelle Julia, on partage notre prod.
Aurélien est plutôt techno mélodique, moi je suis plutôt techno boumboum, alors on va chacun à nos concerts et on se recroise de temps en temps. Quand le festival se termine, on part chercher nos vélos ensemble. Julia et moi, on fonctionne au ralenti. On est encore un peu défoncées.
Aurélien fane. “Putain, vous allez trop lentement, bougez-vous là… On va pas mettre une heure à rentrer.” Ça va, on est pas pressés, on a juste rendez-vous avec notre lit. Tranquille. Au pire, tu peux partir devant.
“Non mais ça me saoule. En plus vous m’avez même pas demandé si je voulais prendre des taz avec vous.”
Pardon? Après tout ce que tu as dit sur la drogue? Et si tu en voulais pourquoi tu m’as pas demandé quand on se croisait?
“Non mais vous auriez pu me proposer au moins.”
Je rigole. La prochaine fois, t’inquiètes.
Les jours qui suivent, je me prépare mentalement à ce moment que je redoute. La descente. La vraie descente. Ce moment où le monde entier a l’air insurmontable. Ce moment où tout s’écroule.
Mais un jour passe, puis deux, puis trois, et tout va bien. Tout va très bien. Tout va trop bien, même. Oui, j’ai eu une petite journée de fatigue et une petite journée où j’étais un peu fanée de tout. Mais rien de plus. Pas de déprime intense.
En fait, je crois que c’est ça, une vraie descente. Une descente pour une personne normale. Une descente pour une personne sans anxiété ou dépression. Un léger sentiment de fanance et le besoin d’une bonne sieste.
Je comprends, maintenant, pourquoi tout le monde me disait que la descente, c’est “pas si terrible”.
Je vais de plus en plus aux entraînements de volley, et je commence à nouer de vraies amitiés avec les personnes de mon club. Mais j’ai l’impression de m’enraciner à Lyon. J’ai peur de ne plus réussir à partir si je commence à trop m’habituer à cette vie. J’ai même réfléchi à acheter un matelas pour ne plus dormir sur le sol.
Alors je m’achète un billet pour Málaga, dans une semaine. Leo me manque, j’irai passer quelques jours chez lui. Il m’appelle tous les jours pendant vingt minutes pour prendre de mes nouvelles. Ça me fait plaisir d’avoir noué une amitié comme ça.
Ce week-end, l’un de mes nouveaux potes de volley organise une soirée chez lui. Ce sera la veille de mon anniversaire.
Ça me fait du bien de faire une soirée avec plein de gens que je ne connais pas trop. Je passe beaucoup de temps avec Ludo, avec son ex, avec son coloc.
Son coloc que j’avais déjà pécho il y a un moment. Son coloc, qui, à la fin de la soirée, vient me voir. “Alors comme ça… je suis ton deuxième choix?”
Mais de quoi tu parles? “Bah, tu t’entends bien avec Ludo…” Non mais ya pas de deuxième choix, je m’entends bien avec Ludo, et voilà. Je m’entends bien avec toi, et voilà. Mais il y a rien entre Ludo et moi de toute façon.
“Ouais… Ok…” Tu veux qu’on rentre ensemble ce soir? “Ouais, je sais pas…” Bah écoute, quand je veux partir je pars, si tu veux venir avec moi on rentre ensemble, sinon je rentre chez moi toute seule et tout va bien.
A la fin de la soirée, je vais le retrouver pour lui dire que j’y vais. “Je vais rentrer avec toi, attends-moi!”
Sur le chemin du retour, on discute de trucs super profonds. Comme à chaque fois qu’on est juste tous les deux, on a des vraies conversations sur nos sentiments, alors qu’avec du monde autour tout est tellement différent.
“Tu sais, Anaïs… Tu as une intelligence émotionnelle incroyable. T’es vraiment une super meuf, t’es intelligente, t’es drôle, t’es belle, mais…” “Mais… je me verrais jamais avec toi.”
Ah bah cimer pour le compliment, je sais pas comment le prendre.
Heureusement, je passe quand même une bonne nuit. Je rentre chez moi le lendemain. Aujourd’hui, j’ai 26 ans.
En début d’après-midi, je reçois un message d’une pote du volley de Lyon. “Tu fais quoi? Si tu veux il y a une manif pour les free party à côté de chez moi.” Je la rejoins derrière un convoi de systèmes sons, avec des DJs qui mixent de la grosse tekno, du bon son de teuf. On tape du pied derrière les enceintes, canette dans la main. On s’assoit par terre fumer une clope. On fait la teuf, à 16h de l’après-midi, sous un grand soleil.
Quand la manif se termine, il commence à faire sombre. On va dans un lieu associatif, où il y a un open air de techno gratuit. Encore une bière, un petit joint, et la soirée passe à une vitesse folle. Il est déjà minuit, l’événement se finit.
Avant de rentrer, on passe se prendre un truc à manger. Mon dîner d’anniversaire. Un bon gros tacos. Un vrai tacos lyonnais qui fait plaisir. Meilleur repas d'anniversaire de ma vie.
Meilleur anniversaire de ma vie, en fait. Teuf et tacos, il ne manquait plus que du volley pour que la journée soit parfaite.
La veille de mon départ pour l’Espagne, je tourne et me retourne dans mon lit, incapable de m’endormir. Il est minuit, je me lève, je vais dans la cuisine. Comme tous les soirs depuis que je suis rentrée. L’addiction, peut-être. Mais ce dont j’ai besoin, vraiment besoin, ce à quoi je suis addict, c’est pas la weed. C’est ce moment, seule, dans le silence de la cuisine, où je prends mon plateau à rouler. Je sors un filtre, je le plie et replie sur lui-même pour faire le “W” de weed. Je le range dans mon clipper. Je sors mon grinder, et je tourne, je tourne, puis je le laisse de côté. Je prends une feuille longue, j’ajoute du tabac et je fais rouler doucement la feuille entre mes doigts. Je la repose avec précaution dans mon plateau, et je dévisse mon grinder. Puis je répartis un peu d’herbe dans mon joint, un peu mais pas trop, sinon je ne peux plus penser. Je reprends délicatement mon joint, et je fais rouler, encore, la feuille entre mes doigts. Je récupère mon filtre, je le resserre un peu, je l’insère à droite. Et je fais rouler, encore, la feuille entre mes doigts. Du bout de la langue, je lèche la bordure de la feuille. Ce goût de papier. Ce silence. Ce calme.
La Voie de la Solitude.
Je tapote doucement mon joint sur la table, je le tasse, je déchire ce qui dépasse et je le referme. Rituel, tous les soirs, c’est la même. Posée sur le balcon, j’inspire. J’avale la fumée. Je souffle. Pas un bruit dehors, pas un bruit dans ma tête. Quelques étoiles dans lesquelles je me perds.
Quand j’ai terminé, je rentre. J’ai un peu froid. Je m’emmitoufle dans ma couverture, et là, seule, prête à partir demain matin, je sors mon téléphone. Quelques lignes avant de sombrer.
C'est le bordel dans mon cœur. Je suis perdue, complètement perdue.
Ça fait un mois que je suis à Lyon. L'aventure m'appelle, ou plutôt elle m'appelait. Je n'ai plus autant envie de partir maintenant. Parce que je suis installée confortablement, dans un confort rudimentaire, certes, mais confort tout de même.
Je vis un peu la vie de roots, et en même temps je vis la fast life. J'ai à la fois rien à faire, et plein d'activités. Et je me suis perdue à nouveau dans cette situation.
J'ai peur, peur de partir. Tellement peur. Parce qu'encore une fois, je laisse derrière moi ce qui est et ce qui pourrait être.
Cette fois, je sais que je vais revenir. Je sais que je ne pars pas longtemps. Mais je suis quand même tétanisée.
Je ne sais pas où je vais, quand, comment, pourquoi, et ça m'empêche d'avancer.
J'ai la haine parce que je suis même pas excitée de partir à nouveau. Quand je repense à qui j'étais dans mon premier voyage, je suis déçue d'avoir déjà perdu cette envie de liberté.
Enfin, pas tout à fait. Je rêve toujours de liberté, mais je me suis laissée dominer par la peur. J'ai envie d'ouvrir mes ailes et de m'envoler, mais je ne sais pas si je vais retrouver ce que je quitte ici.
Et qu'est ce que je quitte ? Rien. Un vieux mec qui me veut juste pour flatter son égo. Aurélien qui n'est même pas là. Des rencontres sans lendemain.
Des promesses, peut-être. Des promesses d'amitié. Des promesses de bonnes soirées. Mais pas de promesse d'Amour, alors que c'est ma quête principale du moment, l'Amour.
Même si je ne veux pas forcément trouver l'Amour, j'aimerais comprendre l'Amour, expérimenter différents types d'Amour. Et je pensais que je pourrais continuer ma quête en restant au même endroit pendant longtemps, je crois.
Mais il faut que je réalise que j'ai plein d'aventures à vivre, et même si je peux vivre des choses funs ici, je ne vais pas avancer dans ma quête.
Je ne peux pas repartir à vélo tout de suite, parce que j'ai trop peur du camping sauvage. Ça me tétanise, de ne pas savoir ce qui va revenir et comment. Je ne dors pas, je fais des cauchemars, encore une fois, j'ai peur.
Peur.
Je dois arrêter d'avoir peur. Me lancer. Me jeter dans l'inconnu à bras ouverts. Mettre en pause ma quête de l'Amour, peut-être. Ou alors simplement continuer dans une quête d'Amour de moi-même. Et continuer de croire en mes étoiles, de croire au destin, et accepter de me laisser porter.
J'ai peut-être abandonné un peu le destin récemment. J'ai trop cherché à le provoquer. C'est pas facile de trouver le bon dosage, mais c'est le jeu aussi.
Dans le bus pour Málaga, je me sens inspirée.
Je me sens très créative quand je voyage. Quand j'étais seule, bloquée, à la maison, c'est comme si l'inspiration m'avait quittée. L'envie d'écrire, aussi, se dissipait dans la fumée des joints.
Mais à peine repartie et me voilà à charbonner. Pourtant, je suis là, assise dans le bus, et j'ai chaud et froid à la fois à cause de la clim qui me souffle dessus. Mes yeux piquent, la fatigue grandit, mes doigts pianotent sur l'écran de mon téléphone.
Pour écrire quoi, au juste? Ces mots. Mes impressions, mes sentiments. Mes petits textes de voyage, c'est pas vraiment des aventures ou des discussions, juste des introspections.
Mes réflexions sur le bouddhisme continuent. L'abandon de la souffrance, la méditation, l'Amour. J'avais dit plus tôt, sans bas, pas de haut. D'où mes prises de risque dans la vie, ma persistance à rester vulnérable dans mes histoires de cœur.
Je n'étais pas convaincue par l'abandon de la souffrance, car, encore une fois, sans bas, pas de haut.
Je pense que la définition de la souffrance dans le bouddhisme est un peu différente d'un "bas", donc ma conviction se retrouve un peu fragilisée.
Les bas, que je considère comme la tristesse, n'engendrent pas forcément de la souffrance. C'est une émotion valide, qu'il suffit d'accepter, d'accueillir, et de soigner.
Et il peut quand même y avoir des hauts intenses sans les bas. Savoir être attentif à ces hauts, ces moments de joie, ces moments cools. Reconnaître que je suis heureuse quand je fais des cookies pour mes amis en dansant sur du reggae dans mon sarouel. Un plaisir si simple, qui passe à la trappe au profit de mes rêves de voyage et d'aventure.
Il reste que je n'aurais sûrement pas eu cette épiphanie sans voyage ni aventure. Mais ça ne sert à rien de me laisser emporter par la peur, la peur de ne pas partir à l'aventure, parce que la routine et la vie quotidienne peuvent m'apporter du bonheur.
Alors profite, Anaïs, profite de chaque jour comme si c'était le dernier. Apprécie chaque son que tu entends, que ce soit le chant des oiseaux, du rap français, les sirènes des voitures de police... Acab cependant. Apprécie chaque moment en compagnie des gens qui comptent pour toi. Et s'il y a de l'attachement, c'est pas grave, on s'occupera de cette partie de la philosophie plus tard. Chaque chose en son temps, on avance à petit pas.
Quand j’arrive à Málaga, je suis trop heureuse de revoir Leo. On entame la journée par un bon petit joint comme on en a l’habitude. On part se promener, on sort boire des bières. Encore une fois, l’Espagne, le trou noir de l’apéro.
Dans mes longues discussions avec Leo, en fumant des joints entre deux sorties en boîte, il me dit quelque chose auquel je réfléchirai encore des mois plus tard.
“Je sais que je plais. Je sais que je suis pas mal, je suis pas le mec le plus beau de la terre, mais je suis pas mal. Alors si j’ai envie d’aborder quelqu’un, j’y vais. Je ne me pose pas trop de questions. Parce que je plais, et en plus je suis drôle, et plein de joie de vivre. Et si je ne plais pas à quelqu’un… tant pis pour lui!”
J’aimerais avoir cette confiance en moi, un jour. Aborder quelqu’un sans trop me poser de questions, parce que moi aussi, je peux plaire. Moi aussi, je suis plutôt pas mal. Moi aussi, je suis drôle… enfin, je crois… et j’ai plein d’histoires à raconter. J’ai bien écrit 25 be like oh shit, c’est qu’il y a du content à creuser.
J’espère qu’un jour, j’arriverai à être comme toi, Leo… Tes mots sont vraiment forts.
Et le pire dans tout ça, c’est qu’il n’est pas arrogant. Il n’a pas la grosse tête. Il est juste simple, naturel, et tout simplement conscient de sa valeur.
Mon dernier soir à Málaga, on sort prendre un verre avec Alessandro, le coloc de Leo. Mon espagnol s’est bien amélioré depuis la dernière fois, et on peut maintenant communiquer de manière un peu moins approximative. Je dis bien un peu moins, c’est toujours pas glorieux ni grammaticalement correct, mais on peut se comprendre. On passe la soirée à discuter, il me fait beaucoup rire. J’aime bien ce petit truc dans ces yeux. Ce petit truc qui brille.
Sur le chemin du retour, en attendant le bus, Alessandro sort un pochon et se fait une trace. Au calme. Je lui dis que moi, je sais que je ne dois pas prendre de C, mes tendances à l’addiction sont trop fortes. “Mais tu sais, la C, c’est pas addictif.”
Ouais, je sais pas. Je me fais pas confiance là-dessus. Le lendemain, je pars pour Barcelone. Dans le bus, je reçois un message d’Alessandro. “Si tu reviens à Málaga… Mon lit est libre.” Ça me fait sourire. Et en même temps, Alessandro, il a vraiment de beaux yeux bleus.
J’arrive à Barcelone, rejoindre des potes pour un tournoi de volley. Je décide de rester quelques jours là-bas après, histoire d’en profiter pour visiter.
Je choisis un hostel un peu au hasard, grave erreur. Les autres gens ont tous moins de vingt ans, je ne m’étais jamais sentie vieille comme ça. C’est vraiment difficile de tenir une conversation avec eux, alors je passe le plus clair de mon temps solo.
Je commence à me sentir un peu seule. Et c’est un peu boring, Barcelone le soir, seule. Je m’engage un peu plus sur la Voie de la Solitude.
Je pars pour Valencia, parce que ça m’avait trop plu la première fois. Je sors fumer une clope sur la terrasse de mon hostel, et je commence à discuter avec un allemand de 18 ans. Il a prévu d’aller acheter de la weed à un mec qu’il a rencontré la veille.
Je lui propose de l’accompagner, comme ça on pourra fumer ensemble après. On arrive sur le point de rendez-vous avec son pote, et on remarque qu’il y a un défilé. Ah, ces espagnols, inégalés en matière de fiesta. Toutes les raisons sont bonnes pour prendre l’apéro. Sauf que qui dit défilé, dit sécurité.
Et la police de partout, c’est pas le top quand tu veux acheter de l’herbe. On cherche une petite rue à l’écart de la foule, et on rejoint son pote. Je regarde la taille du paquet. Tu avais demandé 50 balles ? “Ouais, c’est ça.”
Ah ouais, vachement petit pour un 50 balles en Espagne. On fume un joint avec son pote, on va boire des coups tous ensemble. Au bout d’un moment, je prends le pote à part. Eh, j’ai une question… Tes 50 balles pour ce mec… Tu l’as carrément arnaqué, non? Il rigole. “Ouais bah j’ai acheté 50 balles et j’en ai gardé la moitié… Il a de la thune ce mec…”
Je rigole. C’est pas faux. C’est la vie, il en avait probablement pas tant besoin que ça, de ses 25 balles… Le ruissellement, un peu…
Le lendemain, je vais me balader seule. Quand je rentre, je croise mon voisin de lit du dessus. On discute un peu, il est marocain et il parle français. On décide d’aller boire un verre ensemble.
On passe une super soirée, il est vraiment beau et il me fait beaucoup rire. On va danser en boîte, et il m’embrasse. Quand on rentre, on est seuls dans notre chambre d’hostel… Quelle aubaine. Avant de s’endormir, il me demande en riant, “Tu te souviens de mon prénom, quand même, non?”
Oh shit. Panique. Il me l’a dit qu’une fois, et je sais que c’était un truc que j’avais jamais entendu avant…
Khalil?
“Raté.. C’est Khaled…”
Je deviens rouge tomate, je me confonds en excuse. La honte. J’ai trop honte.
On repasse la journée ensemble, puis la soirée. En rentrant de la boîte, mon téléphone sonne. Alessandro. Je réponds rapidement, je suis super bourrée. Lui aussi. Et j’ai envie de Jalil, là, maintenant.
On s’éclipse dans les toilettes de l’hostel, puis on va se coucher. Avant de dormir, je regarde à nouveau mon téléphone. Des nouveaux messages d’Alessandro.
“Tu sais, moi, je ne suis pas comme ces français qui ont peur. Je suis timide mais direct.”
Oui, mais le problème c’est que je ne sais pas ce que je veux. Tu me plais. Mais si je veux quelque chose de plus, tu es à Málaga, je suis à Lyon, donc il ne pourra rien y avoir entre nous. Alors j’ai un peu peur qu’il se passe quelque chose. On pourra en parler demain quand je serai sobre.
“On trouvera une solution. Mais je voulais parler avec toi ce soir. La dernière fois, je me sentais bien avec toi. Il y avait un feeling, non? J’aurais aimé qu’on rentre juste tous les deux.”
“Je peux te poser une question? Pour moi, quand une personne me plaît, je suis sérieux, et je pense que toi aussi. Tu as déjà été vraiment amoureuse?”
“J’aimerais avoir une famille, quand j’aurai trouvé la bonne personne. J’ai failli déménager au Paraguay pour une fille que j’avais rencontrée. Alors n’ai pas peur, vis au jour le jour et on verra bien. La France, c’est juste à côté.”
“Bonne nuit, ma belle. Et bien entendu, ces messages restent entre toi et moi…”
Ça fait deux heures qu’on discute par message. Je ressens cette adrénaline, un peu comme avec Marc. Ce petit high quand mon téléphone s’allume. En même temps, les “bonne nuit ma belle”, c’est mon point faible.
Mais je panique un peu, aussi. Parce que Alessandro, il a vraiment l’air à fond. Et dans ma quête d’Amour, j’ai une certitude, c’est que je ne suis pas prête à m’enfermer dans un schéma de relation classique. Et en même temps, si je me noie dans ses yeux, est-ce que je serai capable de rester fidèle à mes envies de liberté?
J’arrive à Málaga pleine d’appréhension. En plus, Leo n’est pas là, je dois d’abord retrouver Alessandro. Ces cinq prochains jours, il y a une feria pas loin de Málaga. On a prévu d’y passer quasiment tous les soirs. Les ferias, encore, c’est des trous noirs de l’apéro. Bières, shots, bières, shots, repeat. Petit(s) joint(s) avant de dormir.
Je prends le métro avec Alessandro. Il me drague comme jamais. Me fait rire.
Bières, clopes, bières, clopes, shots. On rentre, bien éméchés, et on se pose dans son lit fumer un joint avant de dormir. Leo va se coucher dans sa chambre. Alessandro et moi, on discute un peu, il s’approche de moi, il m’embrasse…
Le lendemain matin, Alessandro doit se lever tôt parce qu’il travaille. Je continue à dormir pendant qu’il passe ses appels et écoute de la musique en italien. D’ailleurs, depuis, j’ai une playlist Te acuerdas de Málaga?, pleine de variété italienne et de quelques chansons de Bad Bunny.
Je me réveille et vais faire un bisou à Alessandro. Il me prend dans ses bras. Je me pose sur le canapé fumer une clope. D’ailleurs, c’est quoi ton travail? On en a jamais parlé.
“Oh, je donne des conseils en investissements…” Avec mes bases d’espagnol, j’arrive à comprendre plus ou moins de quoi parlent ses appels en italien. Et quand je vois son téléphone plein de messages sur Instagram, je comprends vite qu’il est un peu un influencer, du type, “Salut à toi jeune entrepreneur”.
On passe la journée ensemble, puis je retourne aux Ferias avec Leo. Encore une fois, bières, clopes, shots, repeat. Je suis super bourrée. J’envoie un message à Alessandro, tu es oùùù, j’ai envie de te voir.
“Je suis en centre ville, dans un bar avec des potes. Je pense pas venir aux Ferias ce soir.”
Alleeeez, s’il te plaît! Vieeens!
“Non, je viendrai pas ce soir.”
Ok, on se voit à l’appart. Je continue à faire la fête avec Leo, on danse toute la nuit. Quand je rentre, Alessandro vient d’arriver. Il est un peu malade ce soir. On fume encore un joint tous ensemble, puis on va se coucher.
Quand je me réveille, Alessandro est déjà en train de travailler sur son pyramid scheme. Livre, clope, je m’occupe comme je peux. On va à la plage, on sort en ville avec Leo. On va dans une boîte “techno”, ou du moins ce qui s’en rapproche le plus pour de la musique en Espagne.
Ce soir, je dors encore avec Alessandro, mais je le sens un peu distant. Encore une fois, une journée passée au soleil, à fumer des clopes et lire. J’ai l’impression d’être vraiment en vacances. Aujourd’hui, Leo n’est pas là, alors Alessandro me propose de venir aux Ferias avec lui et ses potes.
Quand on arrive à la gare retrouver ses amis, je vois qu’il discute beaucoup avec une des filles, Lucia. J’ai comme un sentiment étrange, un peu comme si j’avais l’impression qu’ils étaient ensemble. Quand les amies de Lucia nous rejoignent et qu’il se présente, elles se regardent et disent… “Aaaaah… Alessandroooo…”
Je lui laisse le bénéfice du doute, parce que quelques jours plus tôt il me disait quand même qu’il serait prêt à déménager à Lyon pour moi. On monte dans le train et il passe son bras autour de ses épaules. Je n’ai plus vraiment de doutes. C’est sa situationship, sa meuf, je sais pas, un truc du genre, mais c’est pas juste une pote.
Et du coup, je ne comprends pas vraiment. Je ne comprends pas trop tous les messages, toute son attitude si attentionnée au début. On passe quand même la soirée tous ensemble, je danse avec leurs potes pendant que Lucia et Alessandro se roulent des pelles. J’aurais cru être touchée par ce que je voyais, mais ça me rend en fait assez indifférente. Après tout, ça fait deux semaines qu’on se connaît, on est pas ensemble, il fait bien ce qu’il veut.
On prend un uber tous les trois pour rentrer à la maison. Avant de monter, je le retiens par le bras. Tu sais, si tu me laisses cinq minutes quand on rentre, je peux aller récupérer mes affaires et j’irai dormir avec Leo…
“Non mais t’inquiètes, j’ai déjà appelé Leo, il a déplacé toutes tes affaires.”
Avec un peu de recul, toute la situation est un peu scandaleuse. Mais je suis restée là, à acquiescer, sans que ça ne me choque plus que ça. Et je suis rentrée dormir dans le lit de Leo sans trop comprendre, peut-être, ce qui était en train de se passer.
Mon train pour rentrer à Lyon est en début d’après-midi. Je me lève tard, sans grosse surprise vu les quantités d’alcool englouties la veille, et je me prépare. Au moment de partir, je vais dans la chambre d’Alessandro. Bon, bah… J’y vais.
“Bon voyage…” Salut. Il me prend dans ses bras.
“On se voit quand tu reviens à Málaga.”
Je vais pas revenir à Málaga.
“Jamais?”
Jamais.
“Alors on se revoit dans la vie.”
Je sais pas…
“Non?”
Je ferme la porte, et je sors avec Leo qui me raccompagne à la gare. Sur le chemin, je me mets à pleurer. Je pensais être heureuse seule, mais j’aime bien ce genre de mec. Qui travaille sur un pyramid scheme, qui consomme beaucoup, qui se comporte mal avec moi.
“Tu sais, Anaïs, tu devrais partir en voyage seule. Vraiment seule. Pars deux semaines en rando dans la montagne. C’est juste en se retrouvant seul qu’on peut vraiment comprendre ce qui nous fait avancer. Il faut toujours avoir un but, dans la vie. Avec un objectif, tu peux tout faire. Et là, tu pourras faire les choix qui sont bons pour toi. Et tu pourras apprendre à t’aimer simplement.”
Je prends Leo dans mes bras, j’essuie mes larmes, et je monte dans mon train le cœur lourd. J’ai l’impression d’avoir besoin d’une bonne grosse remise en question.
Je capte pas, en fait. Je capte pas pourquoi je kiffe toujours des mecs qui sont aussi manipulateurs, aussi peu compatissants. Un mec qui prend la C trois fois par semaine et dont le taf, c’est un pyramid scheme ? Non mais tu marches sur la tête, ma pauvre Anaïs. J’ai parcouru tellement de chemin, je me suis tellement affirmée. Je suis pas arrivée jusque là pour continuer à retomber dans les mêmes schémas.
Maintenant je m’aime, et je me respecte. Je sais que je suis une meuf super, avec un sourire d’enfer, des yeux profonds, et un cœur honnête, sincère et vrai. Dans tous les moments difficiles, j’ai su être là pour moi-même. Alors si je rencontre quelqu’un, il faut que ce soit quelqu’un qui me pousse à être la meilleure version de moi-même. Qui me pousse à m’aimer. Qui comprenne mon besoin de liberté.
Je pensais avoir commencé à comprendre la Voie de la Solitude. Mais en fait, je suis loin, loin de savoir ce qui m’attend. Loin de m’épanouir complètement, uniquement dans mon monde, avec mes règles, où rien ne m’atteint. Je rêve d’être libre. Où je veux, quand je veux. Sans attaches. Et pouvoir vivre de nouvelles aventures chaque jour, dans le pétillement de la vie.
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