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Chapitre 6 - Les portes


Les chansons du chapitre:

Week-end à Marseille - Lujipeka


Nique la BAC - Lorenzo


La reine du bal - Columbine



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Ce chapitre, un peu comme le chapitre d’avant, il est difficile à écrire. Pas parce qu’il m’est arrivé des choses dark, non. Au contraire. Parce qu’il est creux. Parce que les rencontres que j’ai faites, elles sont creuses. Je vois quelqu’un de différent quasiment tous les soirs. Je fume des joints quasiment tous les soirs. Tout pour occuper mon esprit.

Alors, certes, je passe de bons moments. Je rigole bien, je m’amuse, je profite un peu de la vie. Mais est-ce que c’est vraiment ça, profiter de la vie? Vivre des expériences sans profondeur, sans âme?

C’est pas une généralité, bien sûr, mais toutes les rencontres que j’ai pu faire sur les applis étaient ternes. Rien de flamboyant. Rien de fou. A part Kai, un peu, avec qui j’ai pu vivre des expériences plutôt sympas. Alan, Clément, la fille de la rando. Je les apprécie.ais bien, mais je n’ai jamais ressenti pour elleux des émotions intenses. Iels ne m’ont jamais fait vibrer.

Et c’est difficile de me dire que ces rencontres, creuses, cette période un peu brumeuse, c’est pourtant un des moments dans cette histoire où tout va bien. Enfin, presque. Pas de grande tristesse, mais pas de grande joie non plus, en fait. Tout est plat. Sans bas, pas de haut. Sans haut, pas de bas. Mais là, ni l’un ni l’autre.

Alors je fais des teufs pour oublier. Pour me changer les idées. Pour me sentir vivante.

Juste avant mon départ pour Amsterdam, mon chef entre dans mon bureau. Il est de mauvaise humeur parce que j’ai donné mon avis sur un projet. “Anaïs, t’es toujours négative.” J’essaie de me défendre. Je suis pas négative, j’essaie juste d’être réaliste sur les deadlines… “Je mets les deadlines que je veux, c’est moi qui décide ici! Cette année, tu as vraiment pris la grosse tête! Tu remets en question tout ce qu’on te dit. Et tu sais, tu fais peur. Les gens me disent qu’ils ont peur de toi.”

Mais alors, tu préfère que je parte dans trois mois et que je ne forme pas mon ou ma remplaçant.e ? “Ouais.” Bon, d’accord.

Je prépare ma lettre, et je me sens mal. Super mal. J’ai l’impression d’être horrible. Est-ce que tout le monde me déteste? Est-ce que tout le monde me ment quand ils me disent qu’ils aiment bien travailler avec moi? J’ai envie de pleurer, j’appelle Marc. Je lui raconte, entrecoupée de sanglots, la discussion. “Hé, Anaïs, c’est juste un travail, ok? Faut pas te mettre dans ces états pour le taf!” Je sèche mes larmes, je le remercie. Dans quelques heures, mon train de nuit part. J’essaie de penser au positif. Dans quelques heures, grosse teuf. Dans quelques heures, je retourne mon cerveau.  

J’arrive à Amsterdam en début de matinée. Aurélien et Eliott, qui étaient là depuis quelques jours, dorment encore. Je me promène, seule. Je n’ai jamais visité une ville seule. Je n’ai jamais mangé au restaurant seule. Je me laisse guider par mon instinct, je rentre dans un café qui m’inspire pour prendre un petit déjeuner. Je vais dans un musée sur la weed.

En me baladant dans les rues d’Amsterdam, je passe devant un salon de tatouages et piercings. Je m’arrête. Et si je me faisais un piercing?

Je pousse la porte du salon, et je prends un petit selfie avec mes nouvelles boucles d’oreilles. Clément me répond, “Belle comme toujours”, Kai me répond “Trop cool!” J’adore cette nouvelle façon de vivre, spontanée, sans aucune contrainte, où je ne fais que ce que je veux.

Aurélien et Eliott me rejoignent, on va manger tous les trois. On rigole bien, je suis plutôt heureuse. Même si, au fond de ma tête, je pense toujours à mes problèmes au travail. Et à Marc. Je dois tenir jusqu’au 31 janvier. Ça a l’air si loin.

On entre dans le festival. De la grosse, grosse techno. J’ai une mission en tête, trouver un taz. Je demande autour de moi, et je trouve des français. On discute un peu, puis ils me proposent de me donner deux taz. Un très, très fort et un “normal”. Je donne le normal à Aurélien et j’avale l’autre. Et sentant le taz dans ma gorge, une pensée qui surgit. Pourquoi, pourquoi je ne l’ai pas coupé en deux.

La perche arrive. Des hallucinations incroyables. Tout le monde a l’air si vieux autour de moi. Que des personnes âgées. Je vois des voiles transparents, tachetés, qui volent, et qui parfois se posent sur les festivaliers. Et encore une fois, je me sens tellement, tellement bien.

Le réveil le lendemain est un peu difficile. On a un deuxième concert l’après-midi, je lutte pour avoir l’énergie de danser. Aurélien me confie qu’il n’a pas trop kiffé ce taz. C’était super fort, et il ne se sentait pas en sécurité. Un peu de culpabilité, et encore cette question. Pourquoi je les ai pas coupés en deux.

Les jours suivants, c’est terrible. Je me sens encore plus mal que les fois précédentes. Parce que plein de choses vont mal dans ma vie, et tout semble insurmontable.

Et je continue à parler avec Marc. Ça commence à me rendre folle. Un matin, au réveil, je vois un nouveau message de sa part: “Coucou, ça va?” Envoyé la veille, à minuit 45. Et on sait tous ce que ça veut dire, un message après minuit.

Il me manque, trop, et je ressens toujours pour lui cette sorte d’attraction un peu bizarre. Je n’ai qu’une seule envie, c’est de le sortir de mon esprit. Et je fume de plus en plus. Au début, c’était juste avec Kai. Puis avec Kai et Clément. Puis seule. Et là, ça fait une semaine que je fume tous les soirs. Je me sens bizarre. Je flotte, un peu comme sur un nuage. Je crois qu’il faut que je diminue les doses.

J’ai peur d’être seule. En fait, je me sens seule. Parce que mes relations, surtout celle avec Clément, sont un peu creuses. Pas de commitment, mais du coup pas trop de sentiments non plus. Est-ce que c’est juste une perte de temps? Pourtant, je passe de bons moments avec Clément, on rigole beaucoup tous les deux. En fait, je crois qu’au fond, j’aimerais bien avoir un.e copain.ine.

En rentrant, j’envoie un message à Clément. Pour lui demander si on peut s’appeler ce soir. Mais il sait, il a deviné directement. “Tu veux plus me voir, c’est ça?” Alors je lui explique, que, it’s not you it’s me, j’ai besoin de temps, d’être un peu seule, de me retrouver avec moi-même. De savoir ce que je veux.

Parce que depuis début septembre, il y a Kai, Clément, il y a eu Alan et la fille, et j’ai l’impression que je n’ai jamais arrêté. Que ça fait des mois que mes soirées, c’est nettoyer mon appartement, accueillir quelqu’un chez moi, fumer, baiser, and repeat. Enfin, ça c’est mon analyse, je ne l’ai pas dit à Clément. Clément, il voulait savoir si je voyais encore Kai. Clément, il est triste et je lui manque. Mais moi, je me sens plus légère maintenant que je peux profiter de soirées seules.

Avec Kai, on décide de faire une petite randonnée sous champignons. Quand les effets montent, je me sens vraiment connectée à la nature. J’ai l’impression que les sons ont une texture, les formes se mélangent. L’herbe est couverte de neige, et je regarde les cailloux respirer. Je me sens en paix. Je repense à mes rêves d’enfant. J’aimais beaucoup écrire des histoires, enfant, et dessiner.

Je passe le week-end entier avec Kai, mais quand il part, je me mets à douter. Il était super gentil avec moi pendant cette rando, et il a l’air de commencer à s’attacher à moi. Mais moi, je suis perdue, je panique, et je sais qu’on ne pourrait pas être en couple tous les deux. Vu la nature de notre relation, on ne pourrait jamais être ensemble de manière exclusive. Et je ne veux pas vraiment un couple non exclusif.

Alors j’envoie aussi un message à Kai, pour lui partager mes doutes. “Mais tu sais, je peux avoir l’air très attaché mais j’ai tout à fait conscience de notre situation. Et je sais très bien que tu pars fin janvier, alors ne t’inquiètes pas pour moi.”

Une fausse frayeur, j’imagine. On continue à se voir comme avant, alors.

Aurélien a une collègue qui organise des raves. Des soirées illégales. Et elle l’a invité à sa prochaine rave. On est samedi, il est 23h et on vient de descendre de notre TGV, à Paris. On fait un petit détour par la Tour Eiffel, mais elle n’avait pas de lumières alors c’était un peu nul, et on se dirige vers le point de rendez-vous pour la rave.

On est dans un parc, et on suit un chemin. On arrive à l’emplacement indiqué, il y a deux autres personnes qui attendent. “Vous venez pour la soirée?” Ouais… La lune est super belle ce soir.

On commence à parler un peu, d’autres personnes arrivent, petit à petit. On doit être une vingtaine, maintenant. Un mec surgit de derrière un buisson. Il chuchote.

“Ok, écoutez moi… Le convoi va partir… Suivez moi, ne faites pas de bruit et n’allumez pas vos flashs de téléphone pour ne pas se faire repérer…”

On marche quelques minutes, puis on descend des escaliers, cachés derrière un buisson. On se retrouve en face d’une grande porte. Le leader du convoi ouvre légèrement la porte, on peut entendre les basses résonner. “Ok, on est arrivés…” On se faufile derrière la porte.

Il y a des bougies par terre. Un DJ. Des grosses enceintes. J’ai amené un joint, je fume un peu. J’en propose à Aurélien, mais je le préviens, il est un peu chargé. Aurélien tire quelques taffes. On va danser, mais au bout de quelques minutes je vois qu’il n’est pas bien.

On s’éloigne un peu de la musique, et il vomit. On reste assis, côte à côte, pendant une bonne demi-heure. Je me sens un peu mal de l’avoir encouragé à fumer. La culpabilité. Encore une fois, comme à Amsterdam, je l’entraîne dans mes bêtises.

Mais après une petite pause et un red bull, il retrouve son énergie et c’est reparti. Vers 6h15, on se met en route. Notre train part à 7h30 de Paris, et on arrive à Lyon deux heures plus tard.

En rentrant, je réalise ce que je viens de faire. Une rave, à Paris, un aller-retour en TGV pour une soirée. Je vis la fast life, en ce moment, pas le time pour quoi que ce soit. Mais je crois que je fatigue un peu.

Le soir, je reçois encore un message de Marc. “Salut, ça va? Tu as des nouvelles de Thomas?” Je sais pas trop quoi répondre, parce que Thomas, c’est son meilleur pote, pas le mien. Je lui fais une petite update de ma vie, récemment. Ça reste vague, et ça me frustre.

Parce que comme d’habitude, je me change les idées, je m’occupe. Avec des personnes creuses, peut-être, en fumant des joints, ok, c’est autodestructeur. Mais au moins je ne pense pas à lui, j’essaie de tourner la page. Et il revient, tout le temps. Avec son “Coucou ça va” à minuit 45.

J'ai l'impression c'est un peu comme d'habitude ces derniers mois, tu débarques totalement random pour prendre de mes nouvelles vite fait et la conversation est un peu creuse je sais pas.

Enfin je suis un peu perdue, j'essaie de faire ma vie de mon côté, toi tu fais la tienne, et j'imagine que tu comprends qu'échanger des banalités de temps en temps ça aide pas. Et en plus j'ai rencontré quelqu'un qui me plaît, toi aussi tu as Elsa, donc bon ça va nulle part cette histoire.

Si tu veux parler comme des potes ya pas de soucis mais dans ce cas là ce serait cool d'avoir des vraies conversations, je sais pas.

Et je dis ça mais je sais très bien que moi aussi je fais pareil.. mais bon je pense qu'on peut peut-être essayer de se tirer vers le haut plutôt tous les deux.

Il comprend pas. Ou il fait semblant de ne pas comprendre, difficile à dire. “Je pensais que tu étais passée à autre chose.” Oui, ça fait quasiment six mois que c’est fini entre nous. Mais moi, j’ai du mal à tourner la page.

“Bon dans tous les cas, je pense qu'on ne sera pas amenés à se revoir donc on peut aussi arrêter de se parler. Ce sera de loin le plus simple”

Coup de bluff? Il est énervé? Pas le temps pour faire des histoires, je réponds juste; Ouais si tu veux.

“Excuse moi”. Coup de bluff, donc. “On se reverra peut-être, mais le mieux c’est qu’on reste sur une communication utilitaire. Comme ça il n’y aura pas de doute.”

Ce week-end, on fête mon anniversaire. J’ai huit mois de retard, mais ce qui compte c’est de passer un bon moment avec mes amis. Il y a tous mes amis de Genève, et mes amis de l’INSA. J’appréhende un peu le mélange, mais il n’y a pas de raison qu’ils s’entendent mal.

Le premier soir, le thème c’est techno fraises. Il y aura même Kai. Comme il a sa voiture, je lui demande d’aller chercher Aurélien à la gare. Alors qu’il est en chemin, je reçois un message d’Aurélien. “Tu sais que je suis dans le train avec Gabriel, non?”

Oups. Dans tous les cas, c’est trop tard, et j’avais prévenu Gabriel qu’un mec que je voyais serait là… Je pensais juste pas qu’ils se rencontreraient comme ça. Je les retrouve au chalet, le trajet s’est bien passé, et ils commencent à installer les lumières et le son tous les trois.

Le chalet est en pleine montagne et il neige beaucoup. C’est un peu compliqué de conduire sur la neige, ma copine qui devait faire les courses a eu des soucis sur la route et arrivera plus tard. Après tout un tas de galères, la soirée commence enfin et je prends mon para.

Je passe un bon moment, c’est cool, mais pas aussi bien que d’habitude. Au fond, je suis stressée d’organiser tout ça, j’ai envie que mes amis passent un bon moment, et ça ne me laisse pas tranquille. D’habitude, je lâche complètement prise quand je suis sous D, mais pas là.

Avant d’aller se coucher, on fume un petit joint avec Kai. On fait la deuxième soirée, un peu plus tranquille et seulement avec de l’alcool. J’essaie de me préparer à la descente, cette descente qui arrive, cette descente menaçante vers les profondeurs de mon être.




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