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Chapitre 5 - T'es pas au supermarché


Les chansons du chapitre:

 Sex, Groove, Alcohol - NTBR


 Matcha - Makoto-san


 Eternité - Jazzy Bazz & Nekfeu



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Maintenant, fini de swiper. Petit like, petite croix. Petite croix, petite croix, petite croix. Je commence à affiner mes critères, j’essaie d’être un peu “sélective”.

Et par sélective, je veux dire ; des gens qui aiment la teuf, la techno et les randos. Je matche avec un gars avec qui le courant passe instantanément, puisqu’il aime la teuf, la techno, les randos et même le bikepacking. On discute un peu, il me parle de LSD et de champignons hallucinogènes… il me fait rire. Son nom sur l’appli, c’est Kai.

J’ai un peu peur, mais je me lance dans mon long discours habituel. Tu sais, moi je sais pas trop ce que je recherche, je suis juste là pour suivre le flow de la vie et voir où ça nous mène… J’ai un fear of commitment donc si on se voit c’est juste comme ça, voir comment sont les vibes, et puis on verra plus tard. Et dans tous les cas, je ne veux pas une relation, et encore moins une relation exclusive… “Je t’avoue que c’est exactement pareil pour moi!”

Je me sens vraiment soulagée. Ça fait un petit moment que j’ai envie d’aller bivouaquer en haut de la montagne où j’habite, alors je demande à Kai ce qu’il fait ce soir. “Rien, tu veux faire un truc?” Ouais, j’aimerais bien aller bivouaquer. T’as un duvet? On peut partir de chez moi et on est en haut en deux heures, et puis le lendemain matin on redescend et on part travailler.

“Carrément! Je prends ma tente et j’arrive.” Je lui envoie mon adresse. J’ai un peu peur, en fait, de laisser mon adresse à un mec que je n’ai jamais vu. Mais bon, free spirit. Et dormir ensemble, en tente, directement, c’est quand même un sacré step. Et s’il ne me plaît pas? Et s’il est super boring? Et si…

Bon, allez Anaïs, free spirit. On arrête de se poser des questions et on y va. Au pire je prends une frontale, je redescends dans la nuit, et il se démerde pour rentrer.

Il arrive chez moi, je suis complètement à l’arrache. Mes affaires sont pas prêtes, donc il monte chez moi pour m’attendre mais mon appart est en bordel total... Petite panique. Et une petite voix dans ma tête qui me répète, « mais qu’est-ce que tu fais ». Heureusement, on arrive à se mettre en route assez rapidement. On marche, on discute, il est super intéressant. C’est la première fois que j’ai un date avec quelqu’un rencontré sur une appli qui se passe aussi bien. On est sur la même longueur d’onde sur beaucoup de choses. On trouve un spot sympa pour notre bivouac, il allume un feu, et on fait griller des saucisses et des courgettes.

C’est sans aucun doute le meilleur premier date que j’ai fait de ma vie. C’était tellement random, le courant est vraiment bien passé, et le sexe était super. On a vu le sunset, on s’est levés pile à temps pour le sunrise, et j’étais à l’heure au taf le lendemain matin. “C’était super, je serai trop chaud de se revoir bientôt.” Ouais, exactement pareil.

Je lui envoie un petit message en arrivant au travail, il me répond. On discute un peu, et on se fixe un second date la semaine suivante. Notification Instagram. Marc. Petite dose de dopamine instantanée.

“Coucou Anaïs, vous aviez parlé d’aller faire un tournoi de volley à Avignon, tu pourrais me rappeler les dates?”

Un tournoi prévu depuis un moment avec Julia et Aurélien. C’est pas comme si on avait envoyé toutes les infos sur le groupe plusieurs fois, non, il faut qu’il m’envoie un message sur Insta pour que je lui explique personnellement.

Je suis en conflit intérieur. Je ressens toujours ce rush de dopamine quand il m’envoie des messages, mais d’un autre côté je l’avais enfin sorti de mon esprit, plus ou moins… Et il revient pour réveiller mon addiction. Je lui renvoie les informations, mais j’essaye de rester la plus neutre possible dans mes messages. Je me retiens de lui poser cinquante questions, sur comment il va, comment se passe sa vie, etc.

Le week-end suivant, on va en Italie pour un tournoi de volley sur plage. Le premier soir, Ben, Julia, Aurélien et moi, on a très envie de faire la fête, mais on se fait immédiatement gronder par le gérant du camping parce que notre musique est trop forte. Les autres sont fatigués, ils vont se coucher. Mais on entend, au loin, un son de basses qui vient chatouiller nos oreilles.

Alors on suit le son, et on marche. On marche, on marche, pendant quarante minutes. Le soucis de la plage, c’est que le son porte beaucoup. On arrive devant une boîte de nuit. Julia est en pyjama, j’ai un crop top et un jean. Les gens dans le club sont tous beaucoup plus vieux que nous, ils ont à peu près la quarantaine, et ils sont tous super bien habillés. La classe, ces italiens.

Il y a une photographe dans le club, alors on prend la pose tous les quatre. A côté du DJ, il y a un mec qui parle pour hyper la foule. Tout à coup, Julia s’arrête de danser et nous tape du bras. “Les gars, il vient de dire Félicitations à Stefano et Maria Clara pour leur mariage…”

Et là, on comprend tout de suite pourquoi tout le monde est bien habillé autour de nous. On vient d’infiltrer un mariage, avec Julia en pyjama. On danse encore un peu, puis on rentre se coucher. Ça valait le coup de faire ces quarante minutes de marche.

En ce moment, Marc poste beaucoup de storys sur Insta. On est assis dans le sable, avec Aurélien, à discuter. On regarde sa dernière story. Marc, c’est un peu un boomer dans l’âme, il poste des storys orientation paysage sans pression. On rigole un peu de sa story, quand soudain, Aurélien se redresse. “Attends, tu vois, là, ce petit truc blanc sur la photo… C’est un tag, ça… Attends, je vais cliquer dessus…” Il doit essayer une dizaine de fois avant que le nom de la personne taguée apparaisse sur l’écran. Elsa.

Je me sens un peu trahie. Je lui avais fait confiance quand il m’avait fait tout son discours, comme quoi c’était terminé depuis longtemps, à me regarder comme si je racontais n’importe quoi quand je lui disais que j’aurais été contente pour lui s’il tentait quelque chose avec elle. J’ai vraiment l’impression d’avoir été prise pour un jambon. Un bon gros jambon cuit à l’étouffée.

D’un coup, tout se remet en place. Ma théorie du long game, c’était pas une théorie de grosse droguée… probablement. Et si j’avais raison? Thomas m’a laissé croire que je m’inventais des trucs alors que, en tant que meilleur ami de Marc, il savait sûrement tout depuis le début. Je repense à ce petit truc dans son regard quand je lui parlais de Marc, et j’ai l’impression que je comprends pourquoi.

Mais bon. C’est pas grave. C’est fini avec Marc, je veux plus lui donner l’heure à ce vieux mec. Je déteste les menteurs, je déteste quand on trahit ma confiance. Et pourtant je sais très bien que dès qu’il me renverra un message, je ressentirai ce rush de dopamine. Et je sais très bien que tout ce qu’il a pu y avoir entre nous, c’est fini. Parce que jamais je ne pourrais avoir vraiment confiance en lui à nouveau. Donc mieux vaut laisser couler cette histoire, si j’y arrive.

Mes dates avec Kai deviennent hebdomadaires. Tous les jeudis, je vois Kai. D’ailleurs, son vrai prénom c’est Kevin, mais c’est un peu dur de l’appeler Kevin sérieusement, alors je l’appelle Kai.

Il me parle des autres filles qu’il voit, je lui parle des autres personnes que je vois. Enfin, personne en ce moment, mais j’ai un date la semaine suivante. Je lui parle de Marc, aussi, des fois. “Tu l’aimes encore?” Je sais pas vraiment.

Ce date la semaine suivante, il s’appelle Alan et il est suédois. Aurélien m’a mise en garde, il a vécu en Suède, et d’après lui les suédois sont tous borings. Mais bon, je l’ai trouvé plutôt mignon, alors je lui laisse une chance. Et il habite à Annecy, ça me motive un peu pour aller au bureau là-bas du coup.

Je propose une petite randonnée vers Annecy à Alan. On arrive pile à temps pour le sunset, la vue est magnifique. Et il est super beau, et plutôt intéressant, contrairement aux préjugés d’Aurélien. Le courant passe très bien, la conversation est fluide. Au moment de rentrer, je lui propose qu’on aille tous les deux manger chez lui, prendre un verre. Comme je travaille à Annecy le lendemain, je reste dormir dans ses bras. Un peu comme avec Marc. Je me sens bien.

Avant de s’endormir, je lui ai quand même fait mon speech habituel, I’m just going with the flow, we can both see other people, I have an overwhelming fear of commitment, blah blah blah. Heureusement, il est complètement d’accord, et de toute façon il ne reste à Annecy que pendant un mois. J’espère que je ne vais pas trop m’attacher.

Le week-end, j’ai encore un date, avec une fille cette fois. Elle est super sympa, super drôle, super jolie. On va faire une rando, encore. Je passe un super bon moment, on va boire un verre ensemble après, et encore une fois le courant passe bien. Mais cette fois, je suis un peu trop timide pour lui proposer de rentrer ensemble.

Je vois Kai et Alan au moins une fois par semaine, je m’entends super bien avec chacun. On passe de très bons moments à chaque fois, on trouve toujours de nouvelles activités à faire, on a des discussions intéressantes. Je vois la fille de ce week-end une deuxième fois. Je suis très occupée, je leur parle tous les jours, et j’ai aussi parfois de nouvelles rencontres parce que je suis toujours sur les applis.

Encore un message de Marc, qui prend de mes nouvelles. Je suis un peu sur-stimulée avec tous ces dates, alors je lui raconte que c’est pas facile de jongler trois personnes en même temps, c’est un peu le bordel dans ma tête. Surtout qu’Alan part bientôt, j’ai un peu peur de m’être trop attachée et d’être triste après. “Fais attention, à voir plusieurs personnes en même temps tu risques de blesser des gens. T’es pas au supermarché.”

Ah, d’ailleurs je suis super contente pour Elsa et toi. T’as l’air de faire de bons week-ends!

Réaction pouce en l’air, pas plus de commentaires. C’était peut-être un peu passif-agressif de ma part, mais bon, je suis vraiment contente pour lui. Je suis juste un peu vexée d’avoir été prise pour un jambon, même si tout est bon dans le cochon.

Avec Kai, on a prévu une rando sous psychédéliques le week-end prochain. C’est la première fois que je prendrai un hallucinogène, pour de vrai. La microdose du festival de Reggae-dub, ça comptait pas vraiment. 

On met le carton sur notre langue et on attend un peu. Les effets commencent à se faire sentir, on se sent très high mais sans aucun effet visuel. On se promène, on suit le chemin de rando, on fait une pause. Tout a l’air incroyable, je me sens beaucoup plus connectée à l’environnement qui m’entoure. J’ai envie de toucher les arbres, les cailloux. Les branches forment des arches au-dessus de ma tête. Les toiles d’araignées miroitent au soleil.

On arrive au bout du chemin, dans un vieux château. Ça fait trois heures et demie qu’on est partis, on vient de finir de parcourir 3 km, et on a toujours pas croisé une seule personne. Les effets s’estompent et on passe un petit moment dans le château, à jouer avec un ballon de volley et observer le paysage. Pour faire les 3 km du retour, on aura mis 45 minutes.

Je sors assez contente de cette expérience, parce que les effets n’étaient pas trop forts et ça n’a pas duré trop longtemps - parfait pour une première fois. Je commence à bien apprécier Kai, on passe de super moments ensemble et on rigole beaucoup. Pourtant, le fait que notre relation soit non exclusive me donne la certitude que je ne pourrais jamais être en couple avec lui. Pour moi, si jamais je décide de me mettre en couple à nouveau, je voudrais probablement une relation monogame.

Mais pour l’instant, pas besoin de me poser tant de questions. Je suis contente avec notre relation, sans label ni engagement, et c’est tout ce qui compte. J’ai aussi acheté un peu de weed à Julia, et je fume avec Kai quand il vient. Ça me fait un peu tousser à chaque fois, c’est le début.

La semaine suivante, je me prends la tête avec la femme de mon chef au travail. Je rentre chez Alan, ce soir. Il me raconte qu’il pense quitter son travail, il est dans la même entreprise depuis deux ans déjà et il est peut-être temps de changer. Il est content, certes, mais il a envie de voir autre chose.

Ça fait presque quatre ans que je travaille pour la même boîte. Ce que je fais est super intéressant, certes, mais est-ce que ça vaut vraiment le coup de me faire autant de soucis pour ça? Mon chef avait refusé mon congé sabbatique, il n’a même pas commencé à chercher quelqu’un pour renforcer notre équipe alors que mon premier mois de congé débute dans trois mois. Le connaissant, il fait beaucoup de promesses dans le vent, alors ce n’est pas impossible qu’il change d’avis sur le fait que je puisse partir. Je ne trouve plus d'équilibre vie pro/vie perso.

Je me tourne vers Alan. Why am I still there.

Le lendemain matin, j’entre dans le bureau de mon chef. Denis. Je veux démissionner. J’ai envie de pleurer. Je peux lire un mélange de déception, colère et surprise dans son regard. Je me sens un peu coupable. Je peux rester six mois, et partir en avril par exemple, comme ça tu as le temps d’embaucher quelqu’un pour me remplacer et je pourrais le former. “Ok, donne moi ta lettre de démission avec la date.”, sur un ton super sec. Je retourne dans mon bureau, je m’assois, j’essaye de réfléchir à ce que je viens de faire.

Je me dis que finalement, ma situation au travail ne me convenait plus. Ce n'était plus pour moi et j'avais bien besoin de changement. Je suis bien contente d’avoir démissionné. La première personne à qui j’envoie un message pour annoncer la nouvelle, c’est Marc.

Alan s’en va la semaine prochaine. Je lui propose de se voir une dernière fois, chez lui à Annecy. En plus, c’est grâce à lui que j’ai trouvé le courage de sortir de cette situation. Quand j’arrive, je sens qu’il est un peu triste. Je lui demande ce qui ne va pas, mais il évite la question.

On passe quelques heures, dans les bras l’un de l’autre, à parler de tout et de rien. Au moment de partir, il me serre dans ses bras pendant plusieurs minutes. Moi aussi, je suis un peu triste. Je l’embrasse une dernière fois, et je referme la porte de son appartement. En descendant les escaliers, je me rends compte que, même si je suis triste, j’ai complètement accepté la fin de notre relation, et je suis juste heureuse d’avoir passé des bons moments avec lui.

Je suis fière de moi, d’avoir réussi à lâcher prise aussi facilement. Pourtant, je l’aimais vraiment bien, Alan. Mais c'est juste la fin, je savais que ça arriverait, et j'accepte ça facilement.

Maintenant que Alan est parti, je ne vois plus qu’une seule personne de manière régulière – Kai. J’ai peur de m’ennuyer, alors je réinstalle Tinder et c’est reparti pour des swipes à droite, swipes à gauche.

Match avec Clément. On se voit le soir même chez moi, on discute pas mal. Il est très, très drôle, mais par contre il est pas très, très intelligent. Mais bon, c’est pas grave, on passe une très bonne soirée et pas besoin d’avoir des discussions très profondes pour s’amuser.

Clément m’aime bien aussi, alors on se voit toutes les semaines. Enfin, sauf quand il y a match du PSG, parce qu’il parie sur Mbappé et il ne veut pas louper un seul match. Encore une fois, pas besoin d’avoir des discussions très profondes pour s’amuser. Clément fume du shit, alors je fume un peu avec lui. Je ne tousse même plus quand je fume, maintenant. Je commence à avoir l’habitude.

Dès le début, je lui avais fait mon discours habituel sur la non-exclusivité. Il m’a dit que ça ne le dérangeait pas, mais qu’il ne voulait pas savoir qui je voyais et quand je les voyais. Ok pour moi, même si c’est une dynamique assez différente de Kai à qui je parle de tous mes dates, et qui me parle de tous ses dates. Et en ce moment, je recommence un peu à parler avec Marc. Il prend de mes nouvelles, il me conseille quand ça ne va pas bien au travail. Mais j’ai besoin d’un soutien, alors je profite de la situation.

Le week-end suivant, on va à Amsterdam avec Aurélien pour un festival de techno. Ça fait plus de deux mois que j’ai pas pris de taz ou de D. J’ai bien envie de me retourner la tête. Avec tous mes dates, j’ai vraiment plus une minute à moi, je suis toujours occupée. Et j’ai bien envie de débrancher un peu mon cerveau pendant un moment.




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