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Chapitre 4 - Passion vélo


Les chansons du chapitre:

encore + triste - Yoa


Waiting for the stars - Vitalic


Ma meilleure amie - Vald



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A chaque soirée, je prends du snus. Je dis en rigolant, je suis pas accro, j’en prends qu’en soirée, j’arrête quand je veux. Je rigole, je rigole, mais ça a aussi un petit goût d’amertume parce qu’il y a une part de vérité. Marc me manque.

Je sors ma petite boîte Velo, sur la terrasse de Thomas. Cet appartement que je connais si bien, qui renferme de si bons souvenirs. On me sert un petit cocktail, une petite bière. Attention, ce soir je suis raisonnable, demain matin debout à 7h30 pour notre premier jour de vélo !

Velo, vélo, apéro. Il est 23h, j’enchaîne les verres et la nicotine. On sort, direction un petit rooftop. J’ai vraiment, vraiment bu. On danse, je prends une vidéo avec mon téléphone pour documenter le pré-voyage à vélo. Ou plutôt, j’essaye. J’ai fait deux vidéos de moins d’une seconde chacune. Lola, ça te va si on se dit réveil à 9h demain matin? Cool.

On danse encore un peu, on boit encore un peu, je sens que l’un des gars de l’équipe essaie de se rapprocher de moi. On s’embrasse. Mais il est 3h, le rooftop ferme ses portes. Petit after? Non, impossible, faut que je pédale demain…

Réveil difficile. J’ai mal au ventre, je suis fatiguée, j’ai pas envie de pédaler. Je rejoins Lola. Mon vélo est tellement lourd, avec ma tente, mon duvet, mes vêtements, le matériel… La première journée est très compliquée, physiquement. C’est pas la journée avec le plus de kilomètres ni le plus de dénivelé mais j’ai vraiment mal aux jambes.

Finalement, on trouve un coin sympa où poser notre tente, on va se baigner dans un lac. On se sent vraiment en vacances, le temps passe… différemment.

Les jours suivants, la partie vélo est beaucoup plus simple pour moi. Je pense que c’était surtout la gueule de bois qui rendait l’exercice compliqué. On traverse des paysages magnifiques, on rencontre des gens adorables, et on profite à fond du voyage. On a l’impression d’être parties hier, et en même temps on dirait qu’on est sur la route depuis des années. Cette expérience de slow travel a un peu changé ma vision du monde. Je pensais qu’à pédaler six heures par jour, j’aurais le temps de réfléchir et de trouver des réponses à toutes mes questions.

Mais la vérité, c’est que je finis ce voyage avec plus de questions qu’à mon départ. Je vois ça comme un cadeau ; en fait, ce qui me fait grandir, c’est de me poser des questions. Les réponses sont accessoires, et pas nécessaires pour être heureuse. Je cherche, je me cherche, et peut-être qu’un jour je trouverai, je me trouverai. Ou peut-être pas. Mais je profite de cette quête et j’attends pas vraiment de reward à la fin.

Pendant le voyage, ma relation avec Lola s’est aussi beaucoup approfondie. C’était une partenaire de voyage parfaite, et notre lien est devenu presque sororal. Je lui ai raconté en détail mon histoire avec Marc. Après tout, on va le voir ce week-end, et on avait le temps pour développer.

Au fil de mon récit, Lola est un peu interpellée. Par le fait qu’il ne voulait absolument pas que je parle de lui à qui que ce soit, par toutes ces petites choses qu’il m’a dites. Par la façon dont cette histoire avec Elsa s’est déroulée ; est-ce que mon délire de long game, c’était juste un délire de droguée?

Impossible à savoir, et je ne saurai sûrement jamais. Elle me conseille d’être distante avec Marc. Déjà, il est plein de red flags, il a un côté un peu manipulateur. Et aussi, ça va le faire revenir. Elle me dit ; “Je te parie que, si tu fais la cold shoulder, quand on sera rentrées chez nous, il te renverra un message.” Je rigole, j’en doute. On verra. Mais moi les mind games c’est pas vraiment mon truc.

On arrive, avec nos vélos, sur le Vieux Port (pour niquer tes morts). On récupère les clés de notre Airbnb, et on redécouvre le bonheur de prendre une vraie douche. Marc nous propose d’aller boire une bière avec lui et quelques-uns de ses amis ce soir.

Quand on arrive dans le bar, je sens mon cœur qui bat, vite. Je sors ma petite boîte de snus, histoire de prendre un hit de nicotine pour m’aider à supporter cette situation. Il y a une dizaine de personnes à sa table. On s’assoit, avec Lola, et on essaie d’intégrer la discussion ; en vain. Pas super accueillants, ses potes. Alors on reste à l’écart, toutes les deux. De toute façon, après 7 jours collées l’une à l’autre, on a l’habitude, et on se sent bien, toutes les deux.

Les potes de Marc s’en vont, il nous propose de nous faire visiter la ville. Il est un peu distant avec moi, il évite mon regard, je sens quelque chose de bizarre. On se promène tous les trois, je sors ma boîte de snus pour la troisième fois. “C’est quoi?” Oh, rien, juste des sachets de nicotine… “Mais, pourquoi tu prends ça?” Bah c’est cool, ça me fait ressentir un petit hit quoi. Tu te sens plus léger.ère, tu te sens heureux.se… “Ouais enfin ça reste de la nicotine, c’est super mauvais.” Je ne réponds pas. Il me juge, comme d’habitude en fait. Il consomme plein de drogues et d’alcool, il racontait tout à l’heure qu’il était encore bourré en arrivant au travail le vendredi matin, mais moi, je peux pas prendre un peu de nicotine le week-end sans avoir une remarque.

On se balade dans les Calanques, Marc discute avec Lola, je reste en retrait. J’ai pas vraiment envie de lui parler, comme à chaque fois qu’on se voit, j’ai l’impression d’avoir fait que des mauvais choix de vie. Peu importe ce que je fais, il a toujours quelque chose à redire.

On regarde la vue, tous les trois. Il est assis à côté de moi, il essaie de me faire rire. Enfin, il fait des jeux de mots, raconte des blagues… et cherche mon regard à chaque fois, pour voir ma réaction. Mais je ne suis pas trop là, mon esprit est ailleurs, je pense à autre chose, alors je ne rigole pas trop et je ne le regarde pas. Il nous montre la vue, “Tu vois la digue, là-bas ? Enfin, tu sais ce que c’est une digue ?” Euh, je suis pas trop sûre. Marc et Lola se tournent vers moi. “Euh, je demandais à Lola parce qu’elle est pas française.” Ah, ok. “Tu sais vraiment pas ce que c’est une digue? Ça doit être dans les 2 000 mots les plus utilisés de la langue française!” Ouais, bah désolée de pas être cultivée et de pas avoir beaucoup de vocabulaire. J’ai grandi à Lyon, on a pas trop de digues. Je me lève, il continue. “J’en reviens pas que tu saches pas ce que c’est une digue. Une DIGUE!”

En partant, il passe à côté de moi et me bouscule légèrement. Il laisse traîner sa main contre la mienne quelques demi-secondes de trop pour être anodin. Quelques minutes plus tard, il passe à côté de moi et pose sa main sur mon épaule, encore une fois, un tout petit peu trop longtemps. Je suis un peu troublée, au fond, mais je reste de marbre. Il passe son temps à juger mes choix et à se moquer de moi, alors je ne sais plus ce que je ressens.

Oui, je vois toujours ce truc au fond de ses yeux. Et en même temps, j’ai du mal à apprécier sa nouvelle façon d’être. Avec ses amis, il était vraiment différent. C’est comme s’il essayait vraiment de s’intégrer, et il en perdait ce côté de sa personnalité, un peu sûr de lui, qui me plaisait tant. C’est comme si ce n’était plus vraiment le Marc que je connaissais.

Et pour quelqu’un qui me dit toujours qu’il n’avait rien de plus qu’une attirance physique pour moi, ces tentatives pour me faire rire, ces contacts physiques… me perdent. Est-ce qu’il se ment à lui-même, et lui aussi, au fond, il m’aime bien? Est-ce qu’il fait exprès parce qu’il sait que je l’aime bien, pour me voir revenir vers lui et flatter son ego? Ou est-ce que je me fais des idées, et tous ces petits signaux sont juste le fruit de mon imagination? Je ne sais pas, je ne sais pas si je veux savoir. Le week-end touche à sa fin, et je lui dis au revoir une dernière fois. On se fait la bise, cette fois.

Notre train du retour a du retard. Les délais sont affichés, mais ne font que changer. D’un coup, le tableau d’affichage indique que notre train part dans cinq minutes! Mais on est à l’autre bout de la gare. On court avec nos vélos, vers l’ascenseur pour monter sur le bon quai.

Une famille avec trois petites filles chargent aussi leurs vélos dans notre wagon. On se regarde, en souriant. Trois enfants, c’est beaucoup. Faire un voyage à vélo comme ça, ça doit être fatiguant. Ils se chamaillent un peu, mais ça reste gentil. On est bientôt arrivées. Je lis un livre trouvé dans une bouquinerie, qui expose comment la répression de la drogue dynamise l’économie.

Les enfants d’à côté se disputent de plus en plus. La plus jeune se met à pleurer. Le train ralentit. “Lily elle m’a tapée…” La mère commence à s’énerver sur sa fille aînée. Mais j’ai rien fait, moi.

“Si, alors tu arrêtes! Tu te calmes!” Le ton monte. Elle crie presque. La fille se met à pleurer.

Soudain, quelque chose change dans les yeux de la mère. Et je la revois. Ma mère.

“SALE GOSSE!” Ce sale gosse résonne dans mon esprit. Ce sale gosse, je l’ai déjà entendu. Elle attrape sa fille par le cou, et la soulève du sol. La fille se débat, comme elle peut. Je suis là, j’assiste à la scène, je me sens emplie de rage. Et en même temps, je suis tétanisée par la peur. La peur de la revoir, elle. Ma mère. Au fond de ces yeux, qui vrillent. Les coups partent, entre cette mère et cette fille de huit ans. Combat déséquilibré. Panique et adrénaline.

Les autres passagers ne font rien, le père ne fait rien, et elles sortent du train. L’aînée croise mon regard, mon cœur se serre. Ce regard, cet appel à l’aide, résonne. Je n’ai qu’une seule envie, c’est de lui dire, ne t’inquiètes pas, encore quelques années, puis tu pars, loin, et tu ne devras plus rien à personne, et tu te protèges, et saches qu’il y aura toujours des gens qui t’aimeront, mieux, parce que l’amour, c’est pas ça, et ça a rien à avoir avec ta famille biologique. Mais je tremble et les mots ne sortent pas. Ils s’éloignent. Je me sens oppressée, j’ai du mal à respirer. De grosses larmes commencent à couler sur mes joues. J’essaie de calmer ma respiration, mais c’est trop tard.

Je ressens ma tête, mes mains, et le bas de mes jambes, qui brûlent. Je n’ai qu’une envie, c’est courir, le plus vite possible. Je pédale, sans trop pouvoir contrôler ma respiration. Les lumières des feux de signalisation clignotent, mon regard est systématiquement attiré par ces flashs. Je suis concentrée sur chaque détail, chaque son, chaque odeur, qui semble représenter un danger. Et ma respiration que je ne contrôle pas. Je manque d’air.

Quarante minutes plus tard, je pose mon vélo dans ma cave. Ma respiration est presque redevenue normale. Mais dès que je repense à cette scène, je ne peux plus contrôler mes pleurs. Je ne sais pas ce que je pourrais faire. Appeler la police ? J’aurais dû intervenir… Mais ça aurait risqué d’amplifier les violences une fois que je serai partie… Et je pense à ce regard… Ce regard presque familier…

J’ai toujours eu peur de la violence. Dès que je sens des comportements agressifs ou violents, quelque chose se referme en moi. Quand je rêve, je ne suis pas capable de frapper des gens. Même si quelqu’un me frappe, je ne peux pas retourner les coups. C’est comme si j’étais sous l’eau, mes mouvements sont très lents, sans force… Et n’ont aucun effet sur mes adversaires. Mon subconscient qui bloque des trucs.

Pourtant, j’ai fait de la boxe pendant quelques années, et j’ai déjà donné des coups de poings dans ce contexte, dans la vraie vie (pas dans mon subconscient). Alors pourquoi cette auto-censure? Et pourquoi je ressens cette répulsion physique qui m’envahit à chaque fois que ma mère pose sa main sur mon épaule? Et pourquoi, ni Louis ni moi n’avons de souvenirs clairs de notre enfance?

J’imagine qu’il y a des portes qu’il vaut mieux garder fermées. Mais la scène du train tourne en boucle dans ma tête, et je commence à faire des crises de panique presque quotidiennement. Le week-end prochain, je suis bénévole sur un festival avec Aurélien. Peut-être que ce serait une occasion de reprendre de la D? Ça pourrait m’aider à gérer cette situation de crises de panique.

Mais en même temps, est-ce que c’est une bonne idée de prendre de la drogue alors que je fais une sorte de PTSD bizarre depuis cette scène du train? Je demande à Thomas, il s’y connaît un peu plus que moi, lui. Forcément, il me répond que c’est une mauvaise idée. Mais je suis grande, et je fais mes propres choix!

Je reçois un message de Marc ; “Bien rentrées?”. Lola avait raison. Ça me fait un petit quelque chose, mais j’ai pas vraiment la tête à ça, et je n’ai pas trop digéré son attitude de ce week-end. Vu mes discussions avec Lola, je commence à me dire que mon histoire de long game, c’était probablement pas n’importe quoi. Je réponds de manière évasive et laisse la conversation mourir d’elle-même. Dans quelques jours, je fais la fête.

Comme au bon vieux temps, on contrôle les billets des festivaliers et on leur met un bracelet. Bien sûr, je ne travaille pas sans une petite bière. Une autre petite bière, une autre petite bière. Petit verre de vin. Petit snus. On boit, on boit, je pose des bracelets. Mes jours de bénévoles derrière moi, j’ai l’impression de retourner dans un monde dont je m’étais éloignée.

Notre mission est terminée, on va sur le festival profiter des concerts. Je saute partout avec Aurélien, on s’amuse comme des petits fous. Je me sens super bien, j’ai pas Marc à l’esprit, la vie est belle.

Je vais danser avec Aurélien. Il y a Shaka Ponk, on saute de partout, on fait des pogos comme des fous. Je lâche totalement prise, j’enchaîne les snus, j’en propose à Aurélien. Il en prend un, puis deux, puis trois.

En rentrant nous coucher, Aurélien se sent mal. Il s’éloigne un peu de la tente, dans les bois, et… vomit. Une fois, deux fois. Le snus et l’alcool, ça peut être assez traître si on a pas l’habitude…

Je rentre chez moi, fatiguée. Le week-end prochain, on a à nouveau un festival à 150 km de Genève. J’ai décidé d’y aller à vélo.

Après une semaine au travail difficile à cause de la fatigue, je repars jeudi en fin d’après-midi pour pédaler les 50 premiers kilomètres et 1000 m de D+. J’ai un peu peur de ne pas trouver un bon endroit pour poser ma tente. J’ai repéré un lac à l’arrivée, mais c’est peut-être interdit de bivouaquer là-bas? Je me pose plein de questions, mais de toute façon, je suis déjà partie. Difficile de faire machine arrière, maintenant.

Alors, je pédale, pédale. Ça monte beaucoup, j’ai mal aux jambes. Le soleil commence à se coucher, mais je suis presque arrivée.

Je ralentis et descends de mon vélo. Le lac a l’air super beau, mais je suis face à un panneau “Camping interdit”. Je commence à marcher, à regarder autour de moi s’il y a un coin sympa pour poser ma tente. Deux hommes, dans la quarantaine, marchent dans ma direction, des bouteilles de bière à la main. Est-ce que je devrais avoir peur? L’un d’eux s’approche de moi. “Tu cherches quelque chose?” J’ai un peu d'appréhension, je ne sais pas trop quoi dire. Mais je préfère partir du principe que les gens sont naturellement sympas. Euh, ouais, juste un coin pour poser ma tente pour la nuit… “Tu devrais aller juste là-haut, derrière le rocher, il y a un super coin! En plus il est tard, il y aura personne qui va venir à cette heure là! T’es seule?” Euh, oui, haha, je viens de Genève. “Ah, tu es motivée! Profite bien, bonne soirée!” Merci beaucoup, bonne soirée!

Je souris, je suis de super bonne humeur. Ça confirme mon intuition que les gens sont sympas, en général. Je grimpe une petite côte abrupte en poussant mon vélo, puis je vois un grand replat, qui surplombe le lac. Le coin est super beau, il fait bon, je monte ma tente avec les derniers rayons de soleil. J’ai un morceau de pain et de fromage, alors je pose mes fesses dans l’herbe, face au lac, et je profite de l’instant.

Dans ma tente, je prends mon carnet de voyage et mon stylo, et je note mes quelques impressions du moment. Je me glisse dans mon duvet et je m’endors doucement… Mais c’est ma première nuit seule, au milieu de nulle part. J’ai le sommeil léger, le moindre bruit me tire de mes rêveries. Quand mon réveil sonne, c’est presque un soulagement. Je plie mon duvet, mon matelas, j’enfile mes vêtements et je m'extirpe de ma tente. L’herbe est mouillée par la rosée, j’entends les oiseaux chanter. Le soleil se lève, le lac est surplombé d’une brume épaisse.

Je commence à ranger ma tente. L’air se réchauffe, la brume se dissipe, le ciel devient bleu. Je me pose sur un rocher, face au lac et aux montagnes, et prends une grande inspiration. Je me sens bien.

Je remets toutes mes affaires sur mon vélo, et je repars en direction d'une boulangerie. Je suis une dingue, j’achète un muffin à la pâte à tartiner ET un croissant au praliné! Je vais trouver un petit coin sympa pour m’asseoir et prendre mon petit dej face aux montagnes. Le bonheur.

Je repars, et je pédale. Plein de choses me passent par la tête. Je m’entraîne à siffler. Je parle en japonais à voix haute parce que ça fait des années que j’ai pas pratiqué. Je réfléchis, à ma vie, à Marc. J’écoute le bruit des oiseaux, je sens l’odeur des champs que je traverse. Le trajet est super agréable.

J’arrive au festival, mes potes ne sont pas encore là. Une de leurs amies, que je ne connais pas, nous a réservé une place pour poser nos tentes. Je la rejoins pour mettre mes affaires et me reposer un peu.

Sur le camping, je trouve un groupe de dix personnes avec l’amie de mes potes. Je m’assois avec eux, et on commence à discuter. Comme je n’ai rien amené, je prends une de leurs bières. L’un d’entre eux roule un joint, normal pour un festival de reggae-dub. Il me le tend. Ah, merci mais je fume pas, à chaque fois je tousse de ouf. “Non mais vas-y, essaie, t'inspire un peu et ensuite tu fais comme si ta maman t’avais surprise en train de fumer”. Je prends le joint et j’inspire. Eurk. Je me mets à tousser. Ouais, non désolée j’aime pas ça.

Mes potes arrivent, je les rejoins. On boit quelques bières de plus, on grignote quelques chips, puis on rejoint le festival. Il est 9h du soir, j’ai pas mangé grand chose, je suis levée depuis 7h30 et entre-temps j’ai fait 100 km de vélo. On commence à danser devant la scène reggae, mais je préfèrerai aller voir la scène dub. On se sépare, Ben vient avec moi pour taper du pied. On profite du concert, on adore la musique. Le set se finit, et le prochain artiste passe dans 30 minutes. On attend devant la scène, en discutant. Derrière moi, j’entends quelqu’un dire “Je peux te prendre un taz?” Je me retourne, et je vois la personne derrière moi échanger quelque chose contre un billet. Je demande à Ben s’il en veut, “On partage un?”. Je demande à la personne de tout à l’heure, Je peux te prendre un taz? “Ouais, pas de soucis.” Je le coupe en deux, tend sa moitié à Ben et hop, avalé.

Je commence à discuter avec le dealer. Il est plutôt marrant et plutôt mon type. Au bout d’un moment, je lui demande son prénom. Théo. “Et toi?” Anaïs. “Ah, c’est trop beau comme prénom, Anaïs… Ça ondule…” En disant ça, il mime une ondulation avec son bras. Je passe ma main sur la sienne. Merci, je souris.

Théo prend ma main. L’artiste monte sur scène. On s’embrasse. La musique commence. On danse ensemble, c’est exactement ce que j’aime. Ben danse, il est absorbé. Ma mâchoire commence à se serrer. Je me sens très heureuse. Mes oreilles, ma tête chauffent. Je suis absorbée par la musique, je suis pleine d’énergie, j’ai juste envie de danser. Le set se termine, Ben rentre se coucher. Je reste main dans la main avec le dealer, on va au camping continuer la fête. “Moi, j’ai qu’un dicton dans la vie: vis ta perche.” Et là, j’y suis clairement, dans ma perche. On arrive sous un chapiteau. Les couleurs sont magnifiques, les lumières de la scène sont vibrantes. Je vis ma perche. Je me tourne pour embrasser Théo, puis il s’écarte et me glisse à l’oreille “Profite à fond de ta perche”. Alors je profite à fond, je laisse mes bras et mes jambes bouger librement, j’inspire complètement cette joie à l’état pur qui me remplit.

Je commence à ressentir la fatigue pointer le bout de son nez. Théo aussi est fatigué. On rentre dans ta tente? On s’endort ensemble, je passe un super moment. Je me sens bien.

Quelques heures plus tard, je me dis qu’il est peut-être temps de rentrer dans ma tente. Mes potes savent pas où je suis, il faudrait pas qu'ils s'inquiètent. J’attrape mon téléphone, je vois “Tout va bien Anaïs?” Oups. Je réponds, oui, sorry. Je rentre dans ma tente, et je me rendors instantanément. Après une petite douche et une barquette de frites, nous revoilà à prendre l’apéro. Alcool. alcool, snus. Alcool, alcool, snus. On retourne au festival, je retourne danser. J’ai envie de reprendre un taz ce soir. Au fur et à mesure que la soirée avance, je commence à demander aux gens autour de moi. Je croise mon dealer de la veille. “Nooon, j’ai tout vendu.. Mais j’ai un peu de LSD, si tu veux passer demain soir et je t’en donne. Non, pour toi c’est gratuit, t’es trop mignonne.” Merci, hihi. Il retourne avec ses potes continuer la soirée de son côté. Je continue à demander à des gens, hey, t’aurais des taz ? J’excuse quelques refus, quand l’un d’entre eux me répond, “Non, mais j’ai de la D si tu veux”. Ouais, parfait. Je lui file un billet puis je mets la poudre dans une feuille et je fais un petit para. Le mec qui me l’a donnée est plutôt mignon, lui aussi. Je le regarde, il me regarde. Je sens que j’ai une chance, je commence à danser avec lui. Le courant passe bien, et on s’embrasse. Je me sens bien, c’est la D.

On continue la soirée au camping, je ne lâche pas sa main, j’ai vraiment envie de contact. Cette fois, on danse jusqu’à la fermeture du chapiteau, et on finit par raver devant une grosse enceinte au milieu d’un terrain de foot. Mais à 7h du matin, le soleil se lève et la fatigue nous rattrape. Il dort avec un pote dans sa tente, moi aussi, alors on se sépare. Avant de partir, il me demande mon numéro. Merci, c’est gentil, mais je pense pas que j’ai envie de te revoir après ce soir. Mais c’était cool, j’ai passé un bon moment! “T’es sûre?” Mmmmh… Oui, je suis sûre.

Je rentre me coucher, et dors quelques heures. A mon réveil, et après une petite douche, j’essaie de manger quelque chose. Ça fait deux soirs que je grignote alors que je dépense beaucoup d’énergie. On va prendre l’apéro, quand un mec avec un sachet congélation plein de weed passe au milieu de notre campement. “Vous voulez de la weed?” en secouant son sac. Non, merci, ça va. Il commence à s’éloigner, quand, à force d’être secouées, quelques têtes tombent par terre. Tout le monde se regarde, grand silence, le mec a rien remarqué. Dès qu’il disparaît derrière les tentes, mes potes sautent par terre pour récupérer ce qu’il vient de faire tomber. Ils roulent des joints purs. Je me dis que cette fois, je peux réessayer de fumer. J’inspire tout doucement, et j’arrive à avaler la fumée sans tousser. Super!

Je fume ce joint pur avec Ben. Je me sens légère. Mes pensées qui sont d’habitude si envahissantes, ce flux continu d’idées, de remarques, de jugements, est d’un coup clair et limpide. Je ne pense plus qu’à une chose à la fois. Mon esprit est complètement calme. Je me sens comme sur un nuage. J’adore cette sensation. Avant d’entrer sur le festival, je vais voir Théo. Il me donne un tout petit bout de carton, que je partage avec Ben.

La dose de LSD n’était pas assez forte pour avoir des hallucinations, mais toutes mes sensations étaient plus intenses. Mes bras sont légers, je sens mes pieds ancrés dans le sol. Et le bout de mes oreilles qui chauffe. Je prends un snus. On refume un peu. Pour le troisième jour consécutif, je suis sur un nuage, et toutes mes perceptions sont bien plus agréables. Je vais me coucher, le cœur léger.

A dix heures du matin, je me réveille. Impossible de dormir. Je me tourne, et me retourne, en vain. Je suis à l'affût, je suis à fleur de peau. Je réveille Ben. Déso, mais là faut que je bouge, on peut rentrer ? Jme sens pas trop bien. “Ouais, pas de soucis.” Il prend le volant, je suis pas en état de conduire, et on part sur la route. On met de la techno assez rapide pour nous tenir éveillés, mais je m’endors au bout d’une heure. Je me réveille, j’essaie de rester debout pour tenir compagnie à Ben, mais je suis épuisée. Je me sens vraiment à cran.

J’arrive chez moi en début d'après-midi, je prends une douche éclair, puis je m’allonge dans mon lit. Je m’endors instantanément. Je me réveille vers 19h. Je prends un petit repas, puis je retourne me coucher.

Je me réveille, nue, dans le noir. Je me lève pour allumer la lumière. Je sens le plastique froid de l’interrupteur sous mes doigts. J’appuie, mais il ne se passe rien. Je suis dans le noir complet. Sans trop savoir pourquoi, je vais dans la chambre d’amis. Et là, je vois quelqu’un, debout, dans la pièce. Je ne peux pas voir son visage. J’essaye de parler, mais les mots ne sortent pas.

Je me réveille, nue, dans le noir. Je crois que je viens de faire un cauchemar. Je me lève pour allumer la lumière. Ce rêve était vraiment réaliste, quand même. Je sentais vraiment la texture du plastique de l’interrupteur, comme je la sens, maintenant. J’appuie. Rien. Noir complet. Merde. Je vais dans la chambre d’amis. Encore une fois, il y a quelqu’un dans la pièce. Panique.

Je me réveille, nue, dans le noir. Merde. J’arrive pas à savoir ce qui est en train de se passer. Est-ce que c’est un rêve? Mais pourtant, la texture de l’interrupteur est si réelle. Je ressens le parquet sous mes pieds, l’air frais sur ma peau. La lumière ne s’allume toujours pas. Panique. Je vais dans la chambre d’amis, il y a quelqu’un. Panique. Il s’avance vers moi, j’essaie de me défendre. Mais j’en suis incapable. J’essaie de le frapper, mes coups n’ont aucun effet, c’est comme si je n’avais aucune force. Je sens ses mains qui m’attrapent, il est fort. Je me débats, sans succès. La différence de force entre nous est écrasante. Panique.

Je me réveille, nue, dans le noir. Ok. On dirait un time loop, je suis sûrement pas dans la réalité. C’est vrai que j’ai pris beaucoup de drogues cette semaine, et même un peu de LSD hier. Thomas m’avait mise en garde contre les bad trips. Il faut que j’essaye d’imaginer un safe space, de reprendre le contrôle. La chambre de Marc. Je me concentre, je repense à son lit, la fenêtre, l’étagère, le ballon de volley sur la commode. J’ouvre les yeux, et je suis assise sur son lit. C’est peut-être le moment d’essayer de me reconnecter à mon enfant intérieur, maintenant que je suis dans cet état de conscience un peu étrange. Mais quand je la vois, Anaïs, 5 ans, au loin, je ressens juste de la tristesse et je n’ai pas vraiment le courage de lui faire face.

Je me réveille, nue, dans le noir. Je transpire beaucoup. J’allume la lumière, je regarde l’heure. 23h30. Je vais me servir un verre d’eau. C’est bon, je suis de retour dans le monde réel. J’ai un peu de mal à réaliser ce qui vient de se passer. C’était super bizarre, cette expérience.

La semaine suivante, je travaille. Mais je me sens mal. Je suis déprimée, je sais pas ce que je fais, où je suis. Une semaine où j’ai qu’une envie, c’est me faire écraser comme une crêpe à vélo. A la fin de cette semaine, je reçois un DM sur Insta. Marc. “Alors, c’était comment le festival?” Je ressens cette même sensation de légèreté que quand j’avais fumé ce joint. Je lui réponds. J’ai du mal à contrôler ce que je dis, les mots apparaissent tout seuls sur mon clavier avant que j’aie le temps de réfléchir. C’est ma petite dose de dopamine qui revient.

Il prend de mes nouvelles, puis la conversation se termine. Je ne lui renverrai pas le premier message cette fois non plus. Même si j’en ai très, très envie. Très envie de récupérer cette dopamine. Je commence à me sentir un peu seule. “La vie c’est mieux à deux”, sa phrase résonne dans ma tête. J’avais dit plus d’appli, mais je télécharge Hinge. Ça fait un peu moins grande consommation que Tinder, j’imagine. J’espère que je tomberai pas sur un dealer, c’est un peu mon type récemment. Je repense à Marc qui m’avait glissé, sur l’oreiller, “Tu sais que je me drogue?” Moi aussi, Marc, moi aussi.



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