Chapitre 3 - Tarte aux fraises
Les chansons du chapitre:
Concept Flou - Georgio & Coeur de Pirate
Palapalaba - Lujipeka
Août 2008 - Lujipeka
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Vraiment difficile d’écrire cette partie, en fait. Je sais pas trop par où commencer, c’est un peu le brouillard dans mon esprit. En même temps c’est vraiment l’événement principal, le moment où tout a basculé, et là où tous mes chapitres correspondent à un mois ou deux, celui-ci c’est autant de pages pour parler juste d’un week-end. Week-end pivot, où j’ai goûté à la drogue pour la première fois. Quelques gens m’ont déjà dit, “La drogue, ça a changé ma vie”. Je comprends, moi aussi.
C’est l’été, je fais plein de dates sur Tinder. J’étais jamais allée au lac avant, alors que ça fait trois ans que j’habite à Genève, et maintenant j’y suis un jour sur deux. On prend un verre, on va se baigner, je fais du volley. C’est marrant, ça passe le temps, mais je ne rencontre que des gens un peu creux et pas très intéressants.
Dans quelques jours, c’est le festival de Marc. Je panique un peu, ça fait longtemps qu’on a pas discuté. Swipe gauche, swipe droite. Un peu de Tinder pour avoir l’impression d’avoir de la valeur. Peut-être que si je vois quelqu’un avant ce week-end, ça va terminer ma libido et j’aurais moins d’attraction pour Marc?
Match. On échange quelques mots, il est juste intéressé par le sexe. Bon, du coup moi aussi, on va pas faire semblant, ça tombe bien, alors je vais chez lui la veille du festival. On boit quand même un verre avant, histoire de se retrouver dans un lieu public et pas directement chez lui - je suis un peu folle mais pas tant que ça, et j’envoie aussi l’adresse à Julia au cas où. En fait, il est pas aussi beau que sur sa photo… mais bon, je suis déjà là, c’est une expérience à faire, un date seulement pour le sexe, alors je ne vais pas faire demi-tour maintenant.
Et là, oh surprise, pas au niveau de Marc bien sûr, il manquait un peu de tendresse. Mais une soirée bien, bien, bien meilleure que mes deux dernières aventures. Finalement, c’est pas moi le problème, c’est pas Marc qui est spécial, c’est juste que ces deux personnes me correspondaient un peu moins!
Ma petite affaire terminée, je rejoins Thomas chez lui. On se prépare pour le festival, et on va se coucher. J’ai du mal à trouver le sommeil.
J’arrive un peu plus tôt que les autres avec Thomas. Marc est occupé par l’organisation, il me lâche un petit “bonjour” sans me regarder dans les yeux, me fait la bise et s’éloigne. Il donne une mission à Thomas, faire une roue de la fortune à partir d’une roue de vélo. Comme j’ai rien de mieux à faire, je l’aide à sortir le matériel. Marc réapparaît et nous présente deux de ses amies, avant de repartir. Lucie et Elsa. Enchantée, moi c’est Anaïs. Vous nous aidez à faire cette roue de la fortune? Cool.
Elles sont super sympas, et on discute bien. Thomas parle plus avec Lucie, moi avec Elsa. Elle me demande comment je connais Marc. “Marc fait du volley?! C’est fou, je savais pas.”
Elle me parle de son travail, je lui parle du mien. On écrit quelques blagues sur la roue de la fortune, puis le reste de nos amis arrivent et je m’éclipse un peu, le temps de discuter avec Aurélien. On se met tous les deux un peu à l’écart, on discute à voix basse.
“Alors, comment tu te sens?” Honnêtement, pas trop mal. Beaucoup mieux qu’au tournoi de volley, en tout cas. Mais par contre, ça me saoule un peu, il m’évite de ouf et il fait comme si on se connaissait pas quoi…
“Tu parles de quiiiiiii?” On se retourne. Elsa. Je serai presque tentée de lui raconter, à ma nouvelle copine, mais bon je préfère ne pas m’étaler. Oh, juste un mec, un mec secret… Je rigole, un peu gênée. “Il est là ce week-end?” Ah, mystère! “Et c’est quoi l’histoire?” Euh, en résumé très très rapide, à une période on se voyait, il m’envoyait des bonne nuit tous les soirs, et puis du jour au lendemain ça s’est terminé et maintenant il m’évite. “Ah ouais, c’est pas cool.” Ouais, c’est la vie tu sais.
Lucie et Jules nous rejoignent, on discute de ce week-end, mais la conversation retombe encore une fois sur un sujet épineux. Lucie nous demande, “Et vous, vous les connaissez bien, Thomas et Marc?” Jules se met à ricaner, et répond ; “Anaïs elle les connaît bien, ouais.” Je soupire, gênée, quand Lucie renchérit toute excitée : “Anaïs! Tu couches avec Thomas?!”
On est tous un peu surpris par le raccourci, je ne sais pas trop quoi dire. Bah, euh, enfin, non. Jules s’empresse de rajouter, “Non, Anaïs elle couche pas avec Thomas, non.” Je soupire, encore, je suis gênée, j’essaie de changer de sujet. Je crois qu’il y a une rivière juste à côté du camping, ça doit être super sympa pour se baigner, non? Lucie me lance un petit regard d’incompréhension.
La soirée démarre, on distribue nos parachutes. Enfin, nos “paras”, pour parler comme ceux qui ont l’habitude. Thomas me fais une petite explication ; “Tu vas te sentir super bien, t'auras envie de faire des câlins à tout le monde. Et puis ensuite quand ça va descendre tu seras un peu triste et fatiguée.” Gloups, j’avale la feuille. J’ai une petite pensée pour ce mec dans ma classe en primaire qui mangeait du papier, tout le monde se moquait de lui. Me voilà qui fait pareil, comme quoi il faut souvent éviter de juger. D’autant plus que dans le papier, il y a un cristal réduit en poudre acheté illégalement et dont j’ai aucune idée de la composition. On distribue des chewing-gums, apparemment, ça fait serrer les dents.
Au bout d’une trentaine de minutes, je commence à me sentir… très bien. Mon corps est très léger, je fais des câlins à tout le monde. Je me sens juste heureuse, du bonheur à l’état pur, de la dopamine infinie. Je pense que ma dose était un peu forte, parce que mes souvenirs de ce moment de bonheur intense - la perche, sont un peu flous. Juste ce bonheur, l’esprit qui s’éparpille, mes dents qui mâchent, mâchent, mâchent ce chewing-gum. La musique est incroyable, j’ai envie de me toucher la tête, alors je danse avec ma main sur le crâne. Je ressens la musique dans tout mon corps. Je suis transportée. Je lâche totalement prise.
Elsa vient danser avec moi. “Il y a un mec qui te plaît ce soir?” Oh, tu sais, moi, mec, meuf, tout me plaît. Mais non, pas de cible particulière. Elle rigole et s’en va danser.
Mais tout d’un coup, plus rien. Les lumières s’éteignent, plus de musique. Coupure de courant générale. On va vers le van de Julia, on est un petit groupe de cinq, et on discute en se faisant des câlins. “C’est troooop bien.” “Je vous adoooore.” “Ouiiii. Je suis trop heureux.se.” On se balance, d’une jambe à l’autre, et on se tient tous par la taille.
Au bout d’un petit moment, on entend à nouveau un peu de musique. Une enceinte a été rebranchée sur la batterie d’une voiture. On retourne vers la musique, on continue à danser. Les effets de la drogue se dissipent, ça fait plusieurs heures qu’on a pris notre dose. La fatigue s’installe, lentement. Et là, je vois tous mes amis qui me regardent, un peu choqués. Je lève les yeux, et je vois Marc et Elsa, s’embrasser comme jamais sur la voiture d’en face.
Aïe. Non mais vous inquiétez pas les gars, ça va. Ça va. On est adultes, on est pas ensemble. Il y a rien. Pas de soucis.
Forcément, en vrai, au fond, du fond, du fond de mon cœur, ça me fait un petit pincement. Parce que j’aimais bien Marc. Mais en même temps, Elsa elle est jolie, elle est drôle, elle est gentille, et elle habite pas loin de Marseille donc c’est parfait pour lui. Je vais aller faire pipi, Julia m’accompagne.
Sur le chemin, je m’arrête soudainement. Julia, regarde. La toile d’araignée, là, gigantesque… “La quoi?” Tu vois pas? Là, entre les arbres… Il y a une grande toile d’araignée… Trop belle… “Ah, oui.. je vois” Et, tu vois, là… Les ondes lumineuses qui se reflètent dessus… On dirait un portail vers une autre dimension… Mais… Julia… Tu penses que… C’est réel? Ou c’est dans nos têtes? “Non, c’est réel je pense… Enfin, je vois pas les ondes moi…” J’ose pas toucher…
Pendant mon pipi, j’ai une illumination. Le regard de Lucie tout à l’heure, la curiosité d’Elsa sur le “mec secret”. En fait Elsa, c’était le long game de Marc. Moi, j’étais là pour passer le temps, mais depuis le début il savait très bien qu’en rentrant à Marseille il allait la retrouver.
J’expose ma théorie à mes amis, ils sont mitigés. “Non mais Anaïs, tu sais la drogue ça fait des effets bizarres sur le cerveau. Tu devrais attendre d’avoir l’esprit un peu plus clair.” Ouais, je sais pas. Je reste persuadée que j’ai raison. Je sais pas pourquoi mais tout aurait tellement de sens s’il avait un long game. Tous ses “Je pourrais jamais te dire que je t’aime”, “je suis une merde”... Comme si toutes les pièces du puzzle se remettaient en place d’un seul coup.
Je m’éloigne un peu, quand je croise.. Marc. Je lui retiens le bras. Franchement, Marc… C’est pas super cool. “Mais de quoi tu parles?” Il a l’air énervé. Ouais, rien, laisse tomber. “Ouais vas-y, allez salut.” Il part, de mauvaise humeur. Tous mes sentiments sont mélangés, je ressens plein de choses d’un coup.
Je me rappelle que, pas loin, il y a une falaise avec une belle vue. J’ai envie d’aller voir la vue. Je commence à m’éloigner quand Aurélien me rattrape. “Je vais venir avec toi, c’est dangereux.” Quand on marche, les arbres se mélangent, ils font des formes bizarres. En fait, cette toile d’araignée, c’était peut-être bien une hallucination.
On s'assoit, pas loin de la falaise, et on regarde le paysage. Je me mets à pleurer doucement, Aurélien passe ses bras autour de mes épaules. Je lui raconte à quel point je suis déçue, pour le long game. Qu’il aurait au moins pu me le dire dès le début, j’aurais compris. Que j’étais un peu sur la réserve, qu’il a ouvert les portes, que j’ai cédé. Alors qu’il avait un long game. Pourquoi les gens peuvent pas dire la vérité?
Et je suis triste, de ne pas avoir une situation familiale normale. D’être pleine d’anxiété à cause de ma mère. De ne pas avoir été à la hauteur pour mon frère. De ne pas avoir pu le protéger. De ne pas me souvenir des moments marquants de notre enfance. De ne pas pouvoir faire plus pour mon père, qui est toujours dans cette relation toxique.
“Tu sais, Anaïs, des fois, il faut juste se laisser le temps et pardonner…”
Mais moi, je veux pas pardonner à ma mère. Je veux pas lui mettre tous mes problèmes sur les épaules, mais mon manque de confiance en moi, mon incapacité à gérer des situations stressantes, tout vient de mon enfance. Et je me souviens même pas vraiment de mon enfance. Du peu dont je me souviens, non, je veux pas pardonner. Elle fait sa vie, de son côté, comme elle veut. Mais moi je veux pas entendre parler d’elle.
“On va se coucher? Le soleil est déjà levé.”
Ouais, on peut y aller… Je sèche mes larmes.
Sur le retour, on croise Thomas. “Anaïs, ça va? Si tu veux partir, demain, je te ramène à Genève.” Je me remets à pleurer. C’est trop gentil, Thomas, mais t'inquiètes pas, c’est juste un petit moment de faiblesse. Ça ira mieux après un gros dodo!
Réveil difficile. J’ai la tête encore un peu embrumée. Cet après-midi, on va se baigner dans la rivière. J’ai jamais aimé aller me baigner. Ma mère détestait aller à la piscine ou à la mer, donc on n’y allait pas vraiment. Et elle me disait toujours que j’étais trop grosse, donc si des gens me voyaient en maillot de bain, tout le monde verrait que je suis trop grosse. J’ai un peu peur.
Mais bon. Free spirit. Je suis courageuse, je peux le faire. Se mettre en maillot de bain, c’est pas si difficile. Je fais quelques longues inspirations, expirations. Je suis avec mes amis, tout ira bien. J’enlève ma combinaison et je saute dans l’eau.
Je suis fière de moi. Je suis trop heureuse. En fait, c’est super de se baigner! J’ai l’impression d’être une enfant, qui découvre la vie. J’adore le free spirit. Je nage, je saute dans l’eau, et j’en ai rien à faire du regard des autres.
Quand j’ai fini de barboter, je vais m'asseoir sur la plage, sécher au soleil. Je vois Marc qui passe pas loin, je me lève et je le rattrape. Euh… Marc. “Ouais?” Juste, désolée pour hier soir. En vrai, c’est cool, je suis contente pour toi et j’aurai rien dû dire. Désolée. “Euh… Il s’est passé quoi hier soir? J’avais pris tellement de trucs, je me souviens de rien.” Je rigole. Ah, bah laisse tomber alors. On se revoit plus tard.
Ce soir, Thomas fait attention à me donner une dose un peu moins forte qu’hier. Après une trentaine de minutes, je ressens à nouveau ce bonheur complet. Cette fois, mes souvenirs sont plus clairs, je n’ai pas d’hallucinations et c’est un peu moins intense. Mais je ressens la musique au plus profond de moi, c’est magique. Et les couleurs sont tellement belles et vibrantes.
Marc passe à côté de moi, il touche mon bras. Il me fait signe de le suivre de la main. Je fais quelques pas, quand Aurélien et Julia disent à l’unisson “NON.” Et me retiennent. Marc se retourne, me regarde. Il s’en va, je le regarde partir. Tant pis. Je continue à danser.
On va faire une petite pause, Aurélien, Julia, Jules et moi. On s’éloigne de la musique, on marche un peu. On discute. J’ai envie de danser, donc je commence à rentrer, quand je vois Marc qui arrive vers moi. “Je peux te parler?” On marche doucement, côte à côte. “Aurélien m’a dit que…” Ah putain, Aurélien. Désolée. Je sais pas pourquoi il est comme ça. “Non, pas de soucis. Mais je me souviens pas du tout de ce qu’il s’est passé, en vrai j’ai aucune idée de ce que j’ai fait..” Ouais, mais t’inquiètes, en vrai c’est pas tant de te voir qui m’a dérangée, c’est juste que mon cerveau drogué a commencé à inventer des trucs et partir dans tous les sens… je me suis inventé une histoire et j’étais pas contente à cause de ça, c’est un peu bête. Pardon. “C’était quoi l’histoire?” Oh, un truc complètement débile. “Sinon ça te plaît le festival, c’est cool?” Ouais, en vrai c’est génial. On s’amuse trop et tout, c’est bien organisé, bravo! “On va danser?”
Je danse quelques minutes à côté de lui, mais à distance raisonnable. Quand mes amis reviennent, je vais danser avec eux. Je regarde Marc, de loin. Je le vois jeter des coups d'œil par-dessus son épaule de temps en temps, pour me regarder.
Il commence à faire le tour des groupes, puis vient danser avec nous. Juste à côté de moi. Son coude effleure le mien quand on danse. D’un côté, ça me fait plaisir, et d’un autre je suis un peu mal à l’aise, surtout au vu des événements récents. Je m’éclipse aux toilettes pour temporiser. Quand je reviens, il danse avec un autre groupe. Ouf.
Petit à petit, mes amis partent se coucher. Du groupe, il ne reste plus que Jean et moi sur la piste. Elsa arrive, et se met devant Marc. Elle prend ses mains et les pose sur ses hanches, en commençant à danser avec lui. Mais il enlève ses mains et recule d’un pas, puis jette - encore - un coup d'œil en ma direction. Il vient danser à côté de moi, et recommence à effleurer mon bras sur chaque rythme. Elsa l’a remarqué, alors elle vient se mettre à côté de lui. Je m’écarte, pour leur laisser de ma place. Mais Marc me suit. Et Elsa le suit. On se déplace, tous les trois, quelques fois, puis je suis lassée de ce petit jeu. Je retourne danser avec Jean.
Et Marc tourne, encore, la tête vers moi toutes les trente secondes. Elsa tente à nouveau de l’approcher, mais il recule. Au bout d’un moment, il vient me voir. “Ça va? Je suis désolé, hein…” Oui ça va, t’inquiètes pas. Mais ne te sens pas mal pour moi, Elsa elle est trop cool, vas-y. “Hein? J’entends pas.” Vas-y, avec Elsa, c’est cool et je m’en fiche. “Hein? Non…”
Un petit jeu de va-et-vient, Elsa qui me fusille du regard. Je suis trop, trop, mal à l’aise, et je fuis un petit peu Marc mais il vient toujours me chercher. J’ai juste l’impression qu’Elsa va exploser. Jean va se coucher, alors je le suis.
Le lendemain, en partant, je fais la bise à Marc pour lui dire au revoir. Mais là encore, il évite mon regard, et il me parle à peine. Je suis un peu perdue, parce que ça contraste beaucoup avec son attitude de la soirée précédente, où il venait me chercher toutes les cinq minutes. Je rentre avec Thomas, tous les deux, la voiture est super chargée. Juste avant de partir, j’entends quelqu’un demander ; “Est-ce que quelqu’un rentre sur Lyon et peut me ramener?” Thomas et moi on passe par Lyon pour le retour, alors on fait un peu de place à l’arrière et on arrive à caler notre nouvel ami.
Au bout d’une petite demi-heure, Thomas se tourne vers moi. “Tu pourrais conduire, je suis vraiment épuisé, j’arrive pas à me concentrer…” Ouais, pas de soucis. J’ai un peu peur parce que c’est sa voiture de fonction, et elle est toute neuve. J’arrive à tenir deux heures et demie de route, sans encombre. Thomas et notre nouveau copain ont dormi pendant tout le trajet. En arrivant à Lyon, au moment de me garer, je recule, je recule… Rien dans le rétroviseur, pas de bruit sur le radar de recul… Boum. Un plot, tout fin, pas très haut. Je sors et regarde les dégâts. Une petite denture, pile au milieu du coffre. Mince.
Thomas et notre covoitureur sortent. “Oh merde…” Le gars qu’on avait ramené avait pris une bouteille de punch avec lui, et il l’a renversée sur les sièges arrières. Au moins, ça lui fait une belle inauguration à cette voiture neuve… Et on en rigolera dans quelques mois, même si pour l’instant c’est pas encore ça…
J’arrive chez moi à 22h, épuisée. J’avais posé un jour de congé le lendemain, mais j’ai reçu un message de mon chef dans l’après-midi qui me demandait de venir travailler quand même. Le réveil est difficile le lendemain matin, j’ai pas d’énergie, pas de motivation. Je reçois un message de Marc, qui me demande comment ça va. Un peu fatiguée, et il s’est passé beaucoup de choses ce week-end. Ce serait possible qu’on s’appelle un petit moment ce soir?
Je m'assois sur un banc à côté de chez moi, avec une belle vue sur le lac. Mon téléphone sonne. “Alors, comment ça va?” Je raconte à Marc mes dernières aventures, il me raconte les siennes. Puis vient le sujet de ce week-end. Je lui dis que je suis contente pour lui et Elsa, que c’est une fille jolie et super sympa et qu’il a de la chance. “Non mais Elsa c’est mon ex, c’était comme une sexfriend, on se voyait en novembre dernier mais c’est fini tout ça, on s’est pas vu depuis. Vendredi soir j’ai bien senti qu’elle voulait quelque chose, au début je lui avais dit non mais après avec la drogue, tu comprends… Je m’en souviens même pas.” Ouais, non mais je m’en fiche, ça m’a juste fait un peu bizarre et avec la drogue ça a créé plein d’histoires dans ma tête. “Ah ouais? Quoi comme histoires? Mais tu sais, je me sens mal…” Oh, non, rien, c’était un peu n’importe quoi. En plus elle est trop cool. “Mais d’ailleurs, quand toi et moi, on sortait ensemble…” Je l’arrête. Marc, on était pas ensemble. “Appelle ça comme tu veux, mais pour moi, on était ensemble.” Ah. Trop mignon, ça me touche en plein cœur. “Mais bon, j’ai bien vu comment tu me regardais ce week-end…” Mais Marc, toi aussi, tu me regardais ce week-end.
Il continue à me parler, de la drogue notamment. Il me fait une grande leçon comme quoi c’est pas bien, il faut faire attention, ne pas en prendre régulièrement. “Et aussi, il faut que tu profites de la vie, que tu fasses tout à fond. Que tu explores le monde, que tu partes à l’aventure, comme ça plus tard tu risques pas de tout faire péter dans ta vie.”
Je souris. Je l’adore. En fait je crois que c’est l’homme de ma vie, il me fait ressentir des trucs que personne ne me fait ressentir. C’était peut-être juste pas le bon timing pour nous deux.
Le lendemain, je me sens très, très triste. Je rappelle Marc, en pleurs. Je me sens mal. “C’est la drogue, Anaïs. C’est normal de te sentir comme ça. Après, il y a des gens qui en prennent tout le temps, mais c’est pas sain comme mode de vie. Ça va passer, t’inquiètes pas.”
Les étoiles ne sont pas alignées pour moi, en ce moment. J’ai envie de changement. Le travail, c’est épuisant, ça ne finit jamais. Presque envie de démissionner. Free spirit. Je veux partir à l’aventure. Je suis contente, triste, contente, triste.
J’ai pris ma décision. Je vais partir en voyage à vélo l’année prochaine, en Europe de l’Est. Quatre mois de congé sabbatique. Et si mon chef refuse, je démissionne et je pars quand même. Le lundi suivant, quand mon chef rentre de vacances, je vais dans son bureau. Je me sens un peu mieux sur le côté émotionnel, j’ai fini de faire des yoyos entre la joie et la tristesse.
J’aimerais partir quatre mois l’année prochaine. On peut décider des dates ensemble, mais j’ai besoin de faire une pause. Il rigole. “Si tu fais ça, je licencie la moitié de l’entreprise.” Ah.
D’un seul coup, je me sens enfermée. Moi qui parle tout le temps de free spirit, j’avais l’impression d’avoir une certaine liberté, de pouvoir quitter mon travail à tout moment si jamais ça n’allait pas. Mais là, si l’emploi des autres est dépendant de moi… On m’a enlevé ma liberté.
A partir de ce moment, la passion que je ressentais pour mon travail a fortement diminué. Cette liberté perdue, ça me démotive beaucoup. Je me sens enfermée dans une ambiance sombre et on vient de m’enlever ma lueur d’espoir, ma liberté.
J’essaie de négocier les dates, la durée avec mon chef. Mais c’est un peu comme s'adresser à un mur. Il me propose une augmentation pour rester, mais l’argent ça ne m’intéresse pas vraiment. Finalement, je tente de lui demander de faire trois fois un mois, espacés sur l’année, si il embauche quelqu’un en plus pour renforcer l’équipe. Il accepte, je suis d'un côté soulagée, et en même temps, je n’ai pas vraiment retrouvé ma liberté.
J’envoie un message à Marc pour lui demander de le voir une dernière fois avant qu’il déménage. J’ai un peu envie de voir si je peux passer du temps avec lui et le considérer comme un ami, surtout si on va le voir quand on ira à Marseille avec Lola. “Mais tu veux faire quoi?” Bah, je sais pas, aller se baigner dans le lac, manger un bout ensemble, discuter. “Ok pour le lac.”
J’arrive au lac la boule au ventre. J’ai pris un livre, pour lire au cas où ce soit gênant. Et, comme par hasard, les premières minutes sont longues. On ne sait pas trop quoi se dire, je lui raconte un peu mes histoires du travail. L’ambiance est bizarre.
Mais je suis plutôt contente, et c’est une réussite pour moi, parce que j’arrive à lui parler comme quand je parle à un pote. On se balade un peu, puis il récupère son vélo et on se dit au revoir.
On continue à parler, prêts à partir, lui avec son vélo dans la main, moi avec ma clé de voiture. Il me parle du free spirit, il me dit que c’est un peu nul comme expression. Moi, ça me donne du courage de me dire ça. Le courage de faire des choses que j’aurais pas osé faire. “Non mais c’est vraiment n’importe quoi, t’as pas besoin de mots pour faire des trucs.” Il me demande si je vois des gens en ce moment, je lui parle de mes dates Tinder. Je vois des gens parce que j’ai besoin de validation mais finalement c’est jamais des personnes vraiment intéressantes. “C’est horrible ton discours, tu te rends compte de ça et tu le fais quand même.” Ouais, je sais pas trop.
Au bout d’une heure, debouts, prêts à partir, il commence à faire sombre, je commence à avoir l’impression d’être le pire être humain sur Terre, alors on se dit au revoir, pour de vrai cette fois. Je monte dans ma voiture et je commence à remettre en question tous mes choix de vie.
En arrivant chez moi, je désinstalle Tinder. Je reçois un message de Marc. “J’ai dit beaucoup de merde, faut pas tout prendre au pied de la lettre. Le free spirit c’est cool, c’est juste que je suis un vieux rabat joie.” Bon, c’est un peu tard, je me sens déjà mal, mais ça fait quand même plaisir.
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