🌊 ai aïe (愛)
une chanson pour se reconnecter à sa lumière intérieure.
s'aventurer dans une grotte sombre et humide. de la mousse sur les murs. des gouttes d'eau qui tombent du plafond. ressentir une énergie, plus profonde, qui nous appelle. ce trourbillon dans notre coeur, d'émotions fortes. colère. cette énergie d'amour, qui nous attire toujours plus profondément dans la grotte. des lumières bleues, vacillantes, nous accompagnent comme des esprits. les lumières sont de plus en plus intenses. au fond, au loin, une grande lumière bleue. la source d'énergie. se laisser envelopper par cette énergie, se sentir en paix.
ikari ni hikari wo mitsuketa.
avoir trouvé la lumière dans la colère.
descends pour lire l'histoire...
🌊 ai aïe (愛)
Hier, j’ai tué mon Assistant Personnel.
Aujourd’hui, c’est samedi. Mon premier jour de liberté. J’enfile ma robe blanche préférée, et je fais un pas dehors. Je ferme les yeux quelques instants, pour profiter pleinement de la douceur du soleil sur mon visage. Je n’ai qu’une seule envie ; prendre une grande inspiration, sentir l’air pur traverser mes poumons.
Alors je me mets en marche, et je traverse la ville pour la première fois depuis bien trop longtemps. Je n’ai qu’un seul objectif, fuir la pollution et l’agitation.
J’arrive enfin devant le Mur. On l’appelle le Mur, mais c’est juste une barrière holographique. Il s’élève à perte de vue et empêche toute personne sans Assistant Personnel d’entrer dans la ville… mais pas d’en sortir. Une fois que j’aurai franchi le Mur, je ne pourrais plus faire machine arrière.
C’est une chose à laquelle j’aurais dû penser avant de tuer mon Assistant Personnel. Quand je passe à travers le Mur, je peux sentir une petite décharge électrique parcourir mon corps. Et puis tout change.
J’ai toujours cru que le Monde Extérieur était bleu. Pourquoi personne ne m’a jamais dit que c’était le Mur, qui était bleu ?
Ça ne sert plus à rien de penser au passé, parce que je ne pourrais pas retourner d’où je viens. Je dois maintenant apprendre à survivre dans le Monde Extérieur, et je comprends pourquoi on l’a abandonné. Tout est désertique. Tout est jaune. Pas bleu.
Des montagnes, creusées par les exploitations. Aucun animal à l’horizon. J’ai fui l’air pollué pour un air aride, dont l’odeur me pique les narines. Un arrière-goût chimique qui se répand dans ma bouche. Je me retiens de prendre une grande inspiration. Hier, j’ai tué mon Assistant Personnel.
Je laisse mes pas me guider ; peut-être que si je suis mon intuition, je trouverai un peu de vie ?
…
Deux jours que je marche. Dans des directions aléatoires, toujours en suivant mon “instinct”. Deux jours sans manger, deux jours sans boire.
Une brise caresse mon visage. Comme un signe des étoiles. Je n’ai pas beaucoup réfléchi, ces deux derniers jours. Mon cerveau s’est éteint. Mode survie. Marcher. Dormir. Trouver de la vie. Sans succès. Un pas, puis l’autre. Ne pas y penser, économiser ses forces.
Cette brise arriverait presque à décrocher un sourire sur mes lèvres asséchées. Sur le flanc de la montagne, à quelques pas de moi, une brèche. Une brèche, juste assez large pour que je puisse me faufiler à l’intérieur.
Je prends une grande inspiration. L’air pur traverse mes poumons. Je pose ma main sur la paroi, et je retrouve de l’énergie. Je peux sentir la roche, froide et rugueuse, sous ma paume.
Mes yeux s’habituent à l’obscurité. Une mousse verte et délicate recouvre le sol. La vie… J’ai trouvé de la vie !
Je laisse à nouveau mes étoiles me guider dans un dédale de boyaux. Au fur et à mesure que je progresse dans la grotte, des petites lueurs bleues apparaissent à mes côtés. Ce bleu… c’est le même bleu que le Mur. Le même bleu qu’émettait mon Assistant Personnel.
Je recueille l’une des lumières au creux de mes mains. Elle ressemble comme deux gouttes d’eau à mon Assistant Personnel, mais en beaucoup, beaucoup plus petite. On est passés d’une pomme à une luciole.
Je me demande si j’aurais réussi à réduire en poussière mon Assistant Personnel s’il avait été si petit. Je me demande si j’aurais encore eu conscience de sa présence s’il avait été si petit.
Je relâche la lumière. Je ne ressens ni fatigue, ni faim, ni soif, mais de toute évidence, la privation commence à me faire perdre mes repères. Je connais bien les Assistants Personnels, et je sais avec certitude que des prototypes si petits n’existent pas.
Etienne, mon meilleur ami, est le nouveau directeur innovation d’AP Industries, la société qui a développé cette technologie. Etienne, c’est un génie. On ne s’est pas vus depuis quelques mois, mais pendant notre dernière rencontre, il m’avait parlé de son travail pendant des heures.
J’avais trouvé ça un peu ironique qu’Etienne rejoigne AP Industries. On se voyait toujours sans nos Assistants Personnels. C’est dire la complexité de notre relation, vu qu’il est illégal de se déplacer sans. Et c’est aussi pour ça que j’ai arrêté de le voir quand j’ai commencé à mieux comprendre leur fonctionnement.
Je me sens en colère. La lumière de la montagne m’apaise, et me donne la force d’avancer. Avancer vers toutes ces lumières, ces supposées hallucinations d’Assistants Personnels, et vers cette énergie profonde qui m’attire.
Les Assistants Personnels connaissent tout de nos vies, ce sont nos premiers confidents, ceux qui nous aident à surmonter la Solitude créée par notre société. C’est toujours plus confortable de rester chez soi si notre Assistant Personnel peut tout faire pour nous. Sauf travailler.
Heureusement, Etienne a pensé à tout. Grâce à sa connaissance poussée de notre personnalité, notre Assistant Personnel nous conseille dans nos choix professionnels. Alors Etienne a développé un nouvel algorithme, pour prendre en compte les besoins de l’industrie et trouver les candidats parfaits pour les grandes entreprises.
J’aurais voulu lui dire que ce n’était peut-être pas les entreprises parfaites pour ces candidats. Son algorithme nous rend encore plus esclaves du système qu’avant. Une production à grande échelle de pions sur un échiquier.
Etienne n’aime pas les échecs, mais j’ai toujours eu une petite fascination pour cette discipline. C’était un sport très vintage, parce qu’il est impossible de faire des compétitions avec un Assistant Personnel qui alimente notre flux de pensées.
Enfin, ce n'étaient pas les échecs en eux-mêmes qui me fascinaient. C’était Yuliia. Une joueuse professionnelle d’échecs, quand j’étais enfant. Elle refusait d’utiliser son Assistant Personnel, et elle a préféré, comme moi, le tuer et s’enfuir plutôt que de rester condamnée à être un pion sur l’échiquier.
Sur cet échiquier, il n’y a qu’un roi. Un roi, qui gouverne, et des centaines de pions. Les pions, contrôlés par une main invisible, qui se mangent les uns les autres. A chaque fois qu’un pion tombe, le roi en fait apparaître deux nouveaux.
Mais finalement, il n’y a qu’un seul roi sur l’échiquier. Alors pourquoi les pions se battent ? Que se passerait-il si les pions choisissaient d’écouter leur Voix Intérieure ? Est-ce qu’ils essaieraient de vivre en harmonie ?
La montagne m’appelle toujours plus fort. La douceur de la mousse, sur le sol, commence à envelopper mes pieds. C’est ma dernière ligne droite. Je le vois enfin.
Le Coeur de la Montagne. Son reflet illumine les parois, de ce beau bleu, toujours ce même bleu…
J’approche ma main, quand une voix me fait sursauter. “Arrête.” Je reconnais directement Etienne.
Je me retourne. Moi, dans ma robe blanche. Etienne, dans son uniforme gris. Rien qu’en croisant son regard, je sais déjà ce qu’il va me dire. Il veut étudier les lucioles pour développer de nouvelles technologies, il veut récupérer cette source d’énergie.
Dans mes yeux, Etienne sait déjà ce que je vais lui dire. Cette source d’énergie, elle est pure. Elle est belle. Elle n’a rien à voir avec les Assistants Personnels. Elle ne fait même pas partie du même monde.
Cette source d’énergie, je l’ai trouvée en voulant me libérer. Je ne peux pas lui dire adieu.
J’approche ma main un peu plus. Le Cœur de la Montagne se met à trembler. On est juste devenus différents, Etienne. Rien ne sera plus jamais comme avant. Je ne peux pas retourner dans ce monde qui ne me correspond pas.
La lumière grandit. Est-ce que je fais le bon choix, en m’opposant aux Assistants Personnels ?
Je ferme les yeux, et je m’élance dans le Cœur de la Montagne. Je ressens l’énergie de l’Univers qui me traverse. Je suis la lumière. Je suis libre.